Andrew Bird & the mysterious production of eggs

Andrew Bird

par Jérôme Florio le 27/02/2005

Note: 7.8    
Morceaux qui Tuent
Sovay
The naming of things
A nervous tic motion of the head to the left
Tables and chairs



Depuis "Weather systems", on a appris à mieux connaître Andrew Bird, admiratifs devant ses acrobaties d'homme-orchestre sur scène, amusés par son humour distrait et un peu autiste. Du moins le croyait-on : deux minutes d'un court instrumental en ouverture de son nouveau disque suffisent à de nouveau faire tomber les certitudes, pour que Bird les remplace par ses règles étranges, changeantes et imprévisibles comme la météo.

"Andrew Bird & the mysterious production of eggs" a le titre d'un film d'aventures, du genre "Indiana Jones et les aventuriers de l'Arche perdue". Ce n'est pas de la publicité mensongère : les péripéties et les émotions sont au rendez-vous, car Bird nous fait activement participer à sa quête - savoir qui de l'œuf ou de la poule… c'est-à-dire essayer d'approcher de plus près le mystère de la création. Vaste programme !
Andrew Bird est un peu comme le héros du roman de Richard Matheson "L'homme qui rétrécit", qui rapetisse de jour en jour jusqu'à finalement devenir plus petit que l'atome : la dernière phrase du livre le montre en pionnier, défricheur d'un monde inexploré et extraordinaire. De la même manière, chaque chanson de "The mysterious production of eggs" est une succession de portes qui s'ouvrent pour laisser entrevoir de nouvelles possibilités, puis qui se referment aussi sec – en nous donnant immédiatement l'envie d'y revenir, pour tenter de mieux saisir ce que l'on n'a fait qu'entrevoir. En pure perte, cette fugace impression de beauté, de vérité toute proche se dérobant à chaque fois comme un poisson glisse entre les mains.

Mais pas question de frustration : Andrew Bird déploie comme un paon tout l'éventail de ses talents de musicien, des guitares (plus présentes que sur "Weather systems") aux arrangements sophistiqués de violons, et par toutes autres sortes d'artifices de production. Avec toujours ce chant insolent de fluidité et d'aisance mélodique, sans oublier la spécialité sifflotante du garçon, utilisée ponctuellement et jamais comme un gimmick. Les hasards, les coincidences semblent l'émerveiller constamment : chaque titre est une énigme à décoder, un rébus passionnant, une équation de chimie inédite en même temps que parfaitement équilibrée. Vous en connaissez beaucoup, des disques pop avec les mots "formaldéhyde" et "rhéostat" ?

Deux extraits de "Weather systems" refont leur apparition ici, réenregistrés comme pour reprendre une charade non résolue. "Skin" est agrémentée de paroles, "Sovay" (absente du pressage américain), placée en ouverture, prend une nouvelle dimension. Un titre magnifique qui ouvre les yeux sur ce que l'on avait laissé échapper : loin d'être un gentil désaxé qui enregistre dans un silo à grains, Bird se laisse pénétrer par le bruit du dehors, et joue de ses textes au moins aussi bien que de son archet. Ce n'est pas un hasard si les guitares sont plus mordantes, plus épiques ("Fake palindromes") : la guerre, les armes résonnent entre les lignes de "Sovay" (qui cite la scène d'attaque des hélicoptères sur fond de "Chevauchée des Walkyries" de Wagner dans "Apocalypse now"), "MX missiles" ; la technocratie, les ravages de la science et de l'argent ruinent la planète et vident le monde de toute poésie ("Banking on a myth", "Skin is, my", l'ironique "Tables and chairs").

Tout ici est ouvert, sujet à interprétation, comme des palindromes qui prennent un sens nouveau par n'importe quel bout qu'on les prenne. Comme le suggère la grandiose "The naming of things", il faudrait inventer un nouveau langage pour décrire la musique étonnante et élégante d'Andrew Bird. Lui a déjà franchi le pas, en intitulant les deux instrumentaux de "The mysterious production of eggs" par deux dessins, deux formes qui parlent mieux que des mots.