Don't let me be misunderstood

Bennie Benjamin, Sal Marcus & Gloria Caldwell

par Francois Branchon le 24/04/2004

Note: 9.0    

A l'origine petit gospel écrit par Bennie Benjamin, Sal Marcus et Gloria Caldwell, la grande création des ANIMALS tient à quelques petits fils : un accord de Farfisa, un gimmick de guitare, une caisse claire à contre-temps, une voix de stentor éraillée et un refrain qui grimpe les notes comme on monte la pente, pour une fois en-haut sauter dans le vide. Bouleversante, poignante, la chanson, ramassée en deux minutes - et à l'origine simple face B du Ep "Boom boom" - est un des orgasmes de l'année 1965, un MT éternel (10/10).
ERIC BURDON la réenregistrera en 1974 pour l'album sous son nom "Sun secrets", avec un arrangement beaucoup plus carré et gros son de guitare, une version qui a très mal vieilli (6/10)

NINA SIMONE en fit une version très personnelle en 1964, se plaçant au centre (une habitude de la dame), laissant couler au second plan la musique, une musique lente et assez vulgairement produite (percussions trop présentes et violonades permanentes). A condition d'aimer le timbre et le grain de la voix, et surtout de supporter la tendance à "surjouer" voire à pleurnicher, la version de Simone - qui sait cependant ce qu'est un gospel - dégage sa petite personnalité (6/10)

Comme celle d'ELVIS COSTELLO. Quand la gouaille du gamin de Newcastle laisse place au costard trois pièces, la prière change de registre. Les sentiments sont rentrés, cachés et l'imploration originelle se fait feutrée et pudique tout en restant latente. Car, enregistrée pour l'album "King of America" (1986) et arrangée d'un luxe cossu, "Don't let me be misunderstood" retrouve par Costello, malgré la voix voilée et très différente, la même force poignante que Burdon balançait, ce côté supplique chantée à genoux. Chapeau bas. (10/10)

JOE COCKER, la reprend sur l'album truffé de reprises de sa célébrité en 1968, perdue entre deux Dylan, "Feeling allright" de Traffic et "With a little help from my friends" des Beatles. Une version âpre, raccord avec le personnage épileptique d'alors, sans grand intérêt (5/10). En revanche, sur son album "Stingray" de 1976 qui accroche le wagon de la mode reggae soul (Eric Clapton vient de publier "415 Ocean Boulevard" et "There's one in every crowd"), "Don't let me be misunderstood" gagne un traitement exotique qui lui sied bien, solos acoustiques et guitares hawaiiennes. Le Joe n'était pas encore épave pitoyable, il chante merveilleusement, sans avoir à forcer ni se sentir obligé de faire l'acteur et, sans en avoir l'air, soutenu par des musiciens feutrés (Eric Gale, Steve Gadd...), il laisse l'âme se répandre. Très beau. (9/10)

GARY MOORE, avec la finesse qui le caractérise exécute en 1987 la chanson sous ses riffs lourds, le gimmick frimeur, la voix hurlante. Noyée sous les strobos, elle ne s'en remet pas. (4/10)

Les MOODY BLUES la reprennent sur scène à leurs débuts, notamment lors d'un mémorable concert pour la BBC en 1967 (un échange de bons procédés en sorte, Burdon, ayant longtemps mis "Nights in white satin" à son répertoire). La version n'est pas aussi accidentée que l'originale, un relief vallonné remplace les pentes raides, souligné par la voix veloutée de Justin Hayward, qui y met une conviction sincère. Une version assez minimale, Hayward s'accompagnant à la guitare acoustique (qui joue les plans de batterie de la version originale) et juste soutenu par la flûte de Mike Pinder. La chanson, d'atmosphère bien personnelle, devient vite attachante. (7/10)

Les groupes disco des seventies sautant sur toute chanson soul bien tournée, il était inévitable qu'elle y ait droit. Grâce à elle (et au "Gloria" de Van Morrison), SANTA ESMERALDA, clone météorique de Boney M au look aussi grotesque, se bâtit une notoriété planétaire en 1977. Chapeauté par un gimmick de guitare flamenco d'opérette, "Don't let me be misunderstood" devient un brouet clinquant de fête foraine, délayage de synthés hideux pendant près de 15 minutes. Le morceau, est réhabilité aujourd'hui par Quentin Tarentino qui en a fait un des moments clé de "Kill Bill"... Honte à lui ! (1/10)

Enfin, il faut signaler la version en français de notre chanteur soul à nous, notre méconnu NOEL DESCHAMPS, qui avec les moyens du bord en 1965 (les musiciens des studios RCA France) adapte la chanson - changeant le style et le sens, "Je n'ai à t'offrir que mon amour" est une chansonnette d'amour à la mode de l'heure - et s'en sort bien honnêtement. (6/10)


DON'T LET ME BE MISUNDERSTOOD
(Benjamin/Marcus/Caldwell) :

The Animals (EP "Boom boom" 1965) 10/10
Elvis Costello (LP "King of America" 1986) 10/10
Joe Cocker (LP "Stingray" 1976) 9/10
Moody Blues (Bootleg BBC 1967) 7/10
Nina Simone (LP "Broadway, blues, ballads" 1964) 6/10
Eric Burdon Band (LP "Sun secrets" 1974) 6/10
Noël Deschamps "Je n'ai à t'offrir que mon amour" (EP 1965) 6/10
Joe Cocker (LP "With a little help from my friends" 1968) 5/10
Gary Moore (CD "And then the man said to his guitar" 1987) 4/10
Santa Esmeralda (1977 et BOF Kill Bill 2003) 1/10

"Don't let me be misunderstood" est aussi le titre de la biographie d'Eric Burdon par J. Marshall Craig, parue aux États-Unis en 2001 (Éditions Thunder's Mouth).