Exodus (Deluxe Edition)

Bob Marley

par Francois Branchon le 19/11/2001

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
Natural mystic
Exodus
Jamming
Turn your lights down low


En 1976, Bob Marley donne son accord pour jouer au festival "Smile Jamaica", point d'orgue à Kingston de la campagne électorale du People's National Party de Michael Manley le premier ministre, événement à haut risques que Marley redoute, craignant la récup. Avec raison puisque quelques jours auparavant sa maison est mitraillée, sa femme Rita et son manager Don Taylor gravement atteints, son ami Lewis Griffith et lui-même légèrement blessés. Le jour dit Marley est sur scène et à la fin du concert, devant 300.000 personnes proches de l'émeute, il mime un cow-boy et son fusil, exhibe sa blessure, éclate de rire et quitte la scène. Dans la foulée il quitte aussi la Jamaïque où il ne mettra plus les pieds pendant quinze mois. C'est cet exil volontaire en Angleterre, patrie de son label Island, que raconte "Exodus". L'album sort en 1977 et connaît un phénoménal succès. Sans laisser de côté les préoccupations politiques, les textes y sont plus proches du quotidien. Il est probable que la peur de mourir, associée à l'envie dévorante de faire de la musique, crée la pulsion lyrique qui en habite tous les morceaux. Marley se savait en sursis (il mourra quatre ans plus tard) et il est probable qu'il voulait laisser une trace, LA trace et ces mois tranquilles en studio lui fournissaient la meilleure des opportunités (des cinq albums qu'il lui reste à sortir avant sa mort, seul "Uprising", avec "Could you be loved" et "Redemption song", approche la beauté et la plénitude de "Exodus"). En 1977 Marley est une icone, symbole mondial de la puissance de Jah, pénétré d'inspiration, symbole aussi du reggae tout entier, une icone aussi vénérée que les figures légendaires afro-américaines, Malcolm X ou Martin Luther King. Ce treizième album réussit la synthèse de tout cela, parvenant à l'équilibre entre vulnérabilité et puissance spirituelle, amour de la musique et désir de changer le monde, engagement politique et paroles pour faire l'amour. Marley y est brillant, créant un impressionnant (insurpassable ?) reggae habité : "Natural mystic" tue d'entrée, suivent "The heathen", le monument "Exodus", "Jamming", "Waiting in vain" et "Turn your lights down low", ballade complice de tendresse. Cette réédition en deux Cd offre beaucoup d'inédits, aussi intenses : une version alternative de "Waiting in vain" (qui vaut l'originale), deux versions de "Jamming" (où on sent Marley épouser littéralement la pulsion de la basse, enjôleuse). Le deuxième disque comprend dix autres bonus, cinq enregistrés sur scène pendant la tournée anglaise "Exodus", dont les dix minutes de nonchalance babylonienne de "Crazy baldhead/Running away" et une longue version de "Exodus", et cinq autres issus de sessions de l'été 1977 avec Lee Perry, notamment la reprise de Curtis Mayfield "Keep on moving", réflexions de convalescence et vrai testament de paix avec son statut d'exilé volontaire. Il est difficile, sans être rasta soi-même, de recevoir pleinement tout ce que Marley veut dire, donner et transmettre, ses réflexions impressionnistes. Il ne semble pas y avoir de nostalgie dans ce disque, ni de dépit, au contraire, de la sérénité, un stade de la sagesse, transmise par cette voix au débit si fluide. Les légendes peuvent parfois se faner, leur présence s'estomper lorsque le monde de son côté bouge et continue de tourner. Mais les vraies légendes, les vrais rebelles de l'âme ne meurent jamais, aussi longtemps que les hommes continuent de les aimer.