The sky is falling : The complete live recordings

Fred Neil

par Jérôme Florio le 23/03/2011

Note: 10.0     
Morceaux qui Tuent
The dolphins
Everybody's talking
That's the bag I'm in (1971)
Ba-de-da
Linin'track

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"Il avait du bagout, un air morne et rêveur, un regard énigmatique et un teint de pêche. Un costume sobre et, sous ses boucles folles, une voix puissante de baryton qui envoyait tierces et septièmes se planter dans les poutres, avec ou sans micro. C'était l'empereur des lieux, il avait son harem, ses dévots, il était intouchable et tout tournait autour de lui."

Ce chanteur qui "trône dans l'azur comme un sphinx incompris", c'est Fred Neil, vu par le jeune Bob Dylan ("Chroniques", 2005) fraîchement débarqué à New York en 1961. Neil est alors "l'empereur" du Café Wha?, établissement dont la scène est ouverte à tout ce que le quartier bohème de Greenwich Village compte de chanteurs folk, activistes politiques et artistes divers.
1964 – 1971 : sa carrière discographique fut courte. "The other side of this life", disque capté en live et reproduit en intégralité ici, en est le dernier chapitre. Comme écrit dans une autre chronique de ce magazine, au commencement était Fred Neil : ceux qui tiennent Tim Buckley ou Tim Hardin pour uniques et singuliers vont avoir un choc à l'écoute de la voix et de la guitare douze cordes de l'Américain de Cleveland, disparu le 7 juillet 2001 et très injustement méconnu. Ou presque : d'autres ont popularisé ses chansons (Roy Orbison, Tim Buckley, bien sûr Harry Nilsson avec "Everybody's talking" sur la BOF de "Midnight cowboy", 1969) ; et au vu du beau linge qui l'accompagne ici – rien moins que Stephen Stills, Gram Parsons, Dino Valente (futur Quicksilver), Harvey Brooks (futur Canned Heat), Billy Mundi (plus tard chez Frank Zappa) - on mesure la place qui revient de droit à Fred Neil : la première.

"The sky is falling" comprend tout d'abord le live enregistré au club "The elephant in Woodstock" (New York) paru en 1971 sous le nom "The other side of this life". Neil y est accompagné par Monte Dunn à la guitare. Fred Neil, c'est la crème du folk en même temps que son dépassement : il est à la fois complètement dans son temps ("That's the bag I'm in", énergique folk-song construite sur une base de blues canonique que l'on se refile de chanteur en chanteur), et radicalement en avance : une manière originale de placer la voix et les onomatopées, un accompagnement qui touche au jazz (la contrebasse de "Raindrops falling", plus un piano sur "Come back baby"), et une qualité d'écriture qui s'éloigne des traditions et pulvérise les standards des singer-songwriters. "The dolphins", pour ne citer qu'elle, excède le cadre de la simple chanson pour toucher à la plus intemporelle poésie. Neil l'habite de sa voix chaude et vibrante, mais d'une sobriété exemplaire ; plus tard Tim Buckley en livrera une version fidèle mais à sa manière aérienne, solaire – moins proche de l'expérience humaine et terrestre que l'on sent chez Fred Neil. Délestée des arrangements mainstream et des cordes de la version Nilsson, "Everybody's talking" gagne en épaisseur, portée par des arpèges cristallins. Il y a deux duos sur ce disque, issus de sessions d'origines diverses venant compléter le live originel. Le premier est "Ba-de-da", en accord parfait avec une voix claire que l'on identifie comme étant celle de Vince Martin (les notes de pochette ne le mentionnent pas) – Neil et Martin ont enregistré un disque en duo en 1964, "Tear down the walls" (il faut aussi écouter le superbe disque de Martin " If the jasmine don't get you...the bay breeze will", 1969) ; puis "Ya don't miss your water", avec Gram Parsons à la voix et au piano. Pour terminer, trois titres d'une performance soufflante enregistrés au club Bitter End en 1963 : "Linin'track" au call & response dévastateur, mais aussi "Sky is falling" énième variation blues qui pourra donner plus tard "Blues on the ceilin'".

A la fois passeur et précurseur - du blues à la chanson folk, en passant par des titres plus personnels et intimes dans le style singer-songwriter -, Fred Neil ennoblit tout ce qu'il chante. On écoute bouche bée. 


FRED NEIL The other side of this life (Live 1971)