Not so much to be loved as to love

Jonathan Richman

par Jérôme Florio le 10/10/2004

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
Not so much to be loved as to love
Salvador Dali


C'est avec la grâce d'un Dorian Gray d'opérette que Jonathan Richman a traversé les trois dernières décennies, à la marge d'un monde du rock qu'il juge sans doute consternant de clichés et de poses jeunistes. A-t-il jamais vraiment déçu ? Après tant d'années et plus d'une vingtaine de disques, il publie un "Not so much to be loved as to love" encore frais et sincère, plein d'humanité, cultivant avec entrain ses subtiles maladresses. Du rock'n roll pur comme de l'eau de source. C'est rare et précieux, non ?

Jonathan Richman a vite pris le maquis, en reniant dès 1973 la première mouture de ses géniaux Modern Lovers au son jugé trop agressif, trop proche de ses idoles Velvet Underground et Stooges. Depuis, il travaille dans la simplicité son univers de poésie naïve, romantique et bucolique, et de rock bubble-gum (c'est quand même lui qui a écrit "Chewing-gum wrapper" !) à l'humeur souriante. Le secret de l'élixir de jouvence selon Richman, c'est de n'avoir jamais tout à fait refermé la porte de sa chambre d'enfant, de parler avec le cœur, sans armure autour. Une posture qui ressemble à un art de vivre. Et tordons le cou à cette image condescendante d'imbécile heureux : la guitare en bandoulière, Jonathan Richman est un baladin, un troubadour qui traverse avec un panache certain notre triste époque.

"Not so much to be loved as to love" est un album-collage, une joyeuse auberge espagnole que la personnalité de Richman unifie et fait tenir debout. A moins d'être ascète ou témoin de Jéhovah, impossible de résister à la philosophie de vie défendue ici : art, amour, alcool. "He gave us the wine to taste it / Not to talk about it" : en effet, ce disque procure une légère ivresse, celle qui fait danser et voir la vie comme une fête.
Jonathan Richman peut sembler coincé dans une dolce vita qu'il s'est lui-même créé, mais voilà, il s'aperçoit soudain qu'il a 53 balais et que l'on vit dans un monde pourri ("The world is showing it's hand", la pochette assez cynique, dans tous les sens du terme). Grande nouveauté, il aborde maintenant des sujets graves : seul à l'harmonium, ce sont des larmes de destruction massive qu'il verse sur Mumia Abu-Jamal, patientant dans le couloir de la mort alors qu'il est peut-être innocent – un appel étonnament clair à l'engagement. Le sentiment de révolte et de dégoût a vraiment dû être très fort pour forcer Richman à se mêler d'aussi infernales affaires. Et en fin de compte, on ne sait pas trop quoi en penser…

Fidèle à ses marottes, "Vincent Van Gogh" (un morceau de 1985) fait le point sur la médiocrité des croûtes dans les musées américains, dans un mode certes moins iconoclaste que le vieux "Pablo Picasso" de 1974 (et cette phrase qui tue "Pablo Picasso was never called an asshole"). On peut même sortir un autre gros mot absent du dictionnaire Richmanien : introspection. Lou Reed affirmait "My life was saved by rock'n roll", Richman réplique dans un "Salvador Dali" habité "When I was fourteen / Salvador Dali was there for me". Malgré les espagnolades et les festives touches latines qui parsèment le disque, un groove sec typé Velvet demeure, un "Sunday afternoon" à la douceur d'un "Sunday morning" sans les drogues ; le piano obsessif (paranoïaque critique ?) de "Salvador Dali" rappelle de loin celui d"I wanna be your dog" (encore une histoire de chien...).

Jonathan Richman revient une fois encore nous chanter la sérénade - dans toutes les langues en plus : français ("Les étoiles", "On a du soleil"), anglais, et italien ("Cosi veloce", "In che mondo viviamo"). Ouvrons-lui notre fenêtre. "Sans l'amour, toute la vie et tout cela serait fatiguant" : on comprend mieux pourquoi on se sent si bien en écoutant "Not so much to be loved as to love".