Close to heaven (Tribute to Led Zeppelin)

ONJ Franck Tortiller

par Sophie Chambon le 10/01/2006

Note: 10.0    

Led Zeppelin fut l'apocalypse en neuf disques, un des plus grands groupes de rock du monde, pas de hard - avant et après Led Zep le hard rock n'était et n'est toujours pas grand chose - de rock. Absolutely.
Et les adorateurs du culte verront d'un œil noir des jazzeux venir troubler leur grand messe. Mais après tout, cette musique est "empruntée" aussi : un alliage absolu de blues irrigué de violence pure, de sauvages envolées et de  mystiques dérives. On rappellera enfin que le jazz n'est pas lié à un matériau spécifique, et qu'il consiste surtout dans la manière de le jouer.

Le vibraphoniste Frank Tortiller, nommé en septembre 2005 à la tête du nouvel ONJ (Orchestre National de Jazz), a fait un travail remarquablement futé sur les arrangements, privilégiant une recherche constante de dynamiques, adaptant couleurs et timbres, utilisant l'électronique avec le meilleur effet. On avouera que l'on était bien un peu inquiet au départ, on attendait cette "relecture" en se demandant comment des mélodies intemporelles comme "Stairway to heaven" (reprise d'ailleurs avec talent par le groupe Spicebones il y a cinq ans) ou "Close to heaven" pourraient bien être transformées sans perdre de leur éclat originel. Le jeu de Page évoquait l'arc-en-ciel et la foudre et l'électricité était injectée dans chaque note par ces musiciens instrumentalisés, fusionnels.

Pas de surenchère ici, si les musiciens de l'Onj osent, c'est dans un registre plus exposé, finalement, que celui du bruit dans un monde en furie. Ils donnent des versions tout à fait inattendues, passant de la virtuosité rageuse des modèles, à un lyrisme plus apaisé. La simple mélodie côtoie l'abstraction, la limpidité des cuivres rejoint parfois une raucité violente, la douceur des unissons n'exclut pas la  puissance de la section rythmique, le phrasé fluide peut aussi devenir saccadé lors du morceau suivant. Réinvestissant ces "classiques" à la manière des jazzmen pour leurs standards, l'orchestre réussit le tour de force de rendre hommage aux quatre sans les copier servilement, en s'affranchissant  alors que l'esprit est conservé, transposé. Comment pourrait il en être autrement avec une instrumentation aussi insolite et éloignée que possible des originaux ? Faire du Led Zep sans guitares ni chanteur (si on excepte les élucubrations, très réussies au demeurant, de Patrice Héral, est un pari insensé, impossible.

Et le projet s‘avère très réussi justement pour cette raison : avec deux splendides vibraphonistes, deux batteurs quasi nucléaires, une contrebasse chaleureuse et quatre souffleurs émouvants. Soit dix personnes en intégrant Xavier Garcia invité aux claviers et samples. Ils ne font pas plus de tapage que les quatre de Led Zep mais c'est autre chose assurément : ils apportent une polychromie et une dimension musicale capables de générer à son tour du volume avec un groove permanent. La fusion de tant de cuivre et de métal teintés d'un éclat si particulier, sans prétendre rivaliser avec l'interprétation originale, donne sa couleur propre à l'ensemble. La re-création est plus largement distanciée, les chevaux de bataille et les morceaux recréés d'après ces versions incunables alternent à part égale, plaçant ainsi en perspective, ce travail de réécriture avec le modèle déjà revisité, d'où un effet troublant de miroir.

Plus des citations que des répétitions, l'hommage dépouille pour ne laisser que l'épure, sur le bûcher de la nostalgie et du chant. Un sens aigu du montage préside aux enchaînements parfaitement huilés, réglant les contrastes, semant la surprise avec maestria. La virtuosité est partout, transparente à l'effet. Elle sous-tend la quasi totalité d'un répertoire rendu parfaitement original : un véritable concept album comme à la grande époque. Une réussite captivante.