Wait long by the river and the bodies of your enemies will float by

The Drones

par Emmanuel Durocher le 01/02/2006

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
Shark fin blues
The best you can believe in


Dans les années quarante et cinquante, le blues puisait parfois son inspiration au fond de l'eau, il en reste quelques exemples, John Lee Hooker ou le moins connu Bobo Thomas chantaient le traditionnel "Catfish blues", Willie Love déclarait "Feed my body to the fishes", quant à Tommy McClennan, il plongeait dans l'océan avec son "Deep blue sea blues". Un demi-siècle plus tard, c'est un autre blues aquatique qui ouvre le second album des Drones : celui de l'aileron de requin "Shark fin blues".

Toujours inspiré et parfois désespéré, ce blues du début du 21ème siècle est bruyant, rugueux et impulsif ; c'est une sorte de heavy blues, un peu urgent mais dans lequel chaque note semble réfléchie. L'imaginaire du delta du Mississippi est transporté aux antipodes, Melbourne remplace La Nouvelle-Orléans mais dans l'atmosphère règne la même moiteur, les marais australiens sont aussi nauséabonds que ceux du bayou louisianais et l'histoire est toujours honteuse envers les minorités ("Locust" fait référence à la condition des aborigènes et leur génocide en Tasmanie à la fin du 19ème siècle). Le chanteur Garreth Liddiard mène sa troupe sur des chemins boueux : la route est bien crade et donne à l'ensemble un son assez sale, ça change des productions actuelles proprettes et léchées même dans le cas du "petit groupe de jeunes qu'on vient de découvrir et qui va casser la baraque".

En dépit d'un aspect assez gonflé à la testostérone, le son des Drones n'est pas que du bruit ; il hésite entre grosses guitares sans fioritures ("Shark fin blues", "Baby" et son débit impressionnant, "You really don't care" un peu raté) et les morceaux plus posés sans être apaisés, le blues cérébral et aérien du bien nommé "The best you can believe in" (dont l'ambiance rappelle les meilleurs moments de Kat Onoma), le suspense expérimental de "Locust" ou la tourmente qui hante "The freedom in the loot". Pourtant, l'atout majeur du groupe réside dans le voix de son leader : éraillée, rauque et rugueuse sans être fatiguée, Liddiard chante autant avec sa tête qu'avec ses tripes à mi-chemin entre Tom Waits et Nick Cave un autre de ses compatriotes.

Après un premier album sorti de manière assez confidentielle, on peut découvrir The Drones grâce à "Wait long by the river and the bodies of your enemies will float by" (ça sent bon le proverbe indien). Encore une bonne preuve de la pluralité du label All Tomorrow's Parties, il faut donc souhaiter à ces Drones de bourdonner longtemps.