Ska me crazy (The best of)

Tokyo Ska Paradise Orchestra

par Chtif le 27/05/2005

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
5 days of TEQUILA
Skull collector


Alors ce serait donc ça qu’est devenu le ska ? Des cuivres qui s’égosillent, une musique balourde de festival jouée devant des troupeaux de jeunes en bobs et tee-shirts-vache mugissant des "légalisatioooon !!!" au milieu d’un pré bouseux ? Sans aller jusqu’à réclamer le retour des Pork Pie Hats (ces fameux chapeaux de cuir) et des chaussettes blanches sous costume moiré, on est tout de même en droit de regretter la classe des Specials ou Madness.

C’est donc avec un plaisir non feint que l’on se penchera sur le Tokyo Ska Paradise Orchestra, dont nous parvient aujourd’hui cette compilation, leur première sortie européenne. Ils sont dix, ont des noms aussi rock’n’roll que Kitahara Masahiko (trombone) ou Hiyamuta Tatsuyuki (sax alto), et parsèment depuis 1985 un groove absolument infernal. Festif mais élégant. Leur technique époustouflante, leur maîtrise scénique et leurs costumes argentés, violets ou encore pailletés, leur ont même valu le privilège d’ouvrir pour les jamaïcains de Skatalites, fondateurs officiels du ska.

La force de ces drôles de nippons (qui se font appeler Skapara dans leur pays d’origine) réside dans leur aptitude à évoluer d’album en album (dix originaux à leur actif), à ne pas se cantonner dans une formule juke-box bien calibrée. Au contraire, "Ska me crazy" déroule sous nos pieds un dance-floor pavé de tous les styles connexes au ska : reggae, rock et dub y côtoient le jazz et la soul originels.

La mixture bouillonne de tous côtés, et déborde en flots de basse ronflante. Les cuivres sont omniprésents, mais brouillent les pistes tels de malicieux caméléons: tour à tour, ils plombent une canicule brésilienne sur "Call from Rio", remuent du cul sur un zouk tropical ("The natty parade"), ou s’embarquent dans un charleston délicieusement rétro sur "(We know it’s) all or nothing".

Mais à côté de ces titres qu’on les sait capables de faire, ce sont ces bizarreries venues d’ailleurs qui font la différence. Cette voix qui éructe sur "5 days of TEQUILA" (comment ça, Tarantino ne l’a pas encore repris sur une BO ?!), cet orgue qui tutoie l’électronique de "Movin' dub [on the whole red satellites]", ou cet inquiétant pont de basse orageuse sur "Skull collector". Quelques graines de folie inattendues, quelques gestes irresponsables au beau milieu d’un bal que l’on aurait pu imaginer convenu.

Décidément, il faudra un jour se pencher sur ce petit îlot du Pacifique et tenter de comprendre comment il a pu enfanter autant de déjantés... Qui d’autre que des japonais pourraient exécuter avec le plus grand sérieux du monde une bluette d’ascenseur aussi obsolète que "Lover’s walk" (évoquant la musique des "Vacances de monsieur Hulot", d'Alain Romans) ? On en compte combien des groupes qui exhortent la foule à une séance de "Jump ! Jump !"… sur un air d’harmonica ("Ska me crazy" enregistré aux Eurockéennes de Belfort) ?

Le live étant d’ailleurs leur domaine de prédilection, on conseillera à l’auditeur de se ruer sur les deux vidéos concert, histoire de mesurer l’étendue du foutoir que ces japonais peuvent imposer. Des garçons pourtant si bien habillés…