Picture perfect

Ahmad Jamal

par Sophie Chambon le 28/11/2000

Note: 6.0    

Le pianiste Ahmad Jamal célèbre son soixante-dixième anniversaire, extraordinaire vitalité et un album, "Picture perfect". En ouverture, "Building N1" laisse présager du grand Jamal : lyrique, avec un sens très développé de l'espace, de la forme et de la sonorité d'ensemble, qui lui permet de construire à partir d'un matériau réduit mais séduisant. En l'occurrence, une brève intro (rappelant "Punjab" de Joe Henderson), une séquence harmonique de huit mesures en 6/4 avec un riff de basse simple sur les deux premières. Cela lui suffit pour déployer sa conception orchestrale du piano : plongées vertigineuses dans l'extrême grave, contrastes de dynamiques, subtils ou violents, traits en octaves et trémolos au service d'un sens dramatique infaillible. Une superbe ballade, "The blooming flower", construite sur un cycle harmonique tout simple, se déroule au rythme lent et chaloupé d'un chameau désabusé. Pourtant le disque déçoit. Les morceaux en trio s'écoutent certes avec plaisir et peuvent rappeler la découverte en 1995 de "The essence", qui revisitait encore une fois l'art du trio (avec déjà James Cammack à la basse et Idriss Muhammad à la batterie). Le piano est omniprésent, ce que l'on ne saurait déplorer; étrangement cependant, une écoute attentive révèle vite des gimmicks un peu trop identifiables. Peut-être est-ce la plénitude de celui qui n'a plus rien à prouver ? Mais la recette magique des deux merveilles évoquées ne réussit pas à tous les coups, et les autres plats manquent de l'indéfinissable ingrédient qui fait la réussite. Quand ils ne sont pas franchement écoeurants. Que dire en effet de "Whispering" , "Picture perfect" et "My latin", cédant aux effets de mode ? Le crooner O.C Smith et la chanteuse L. Aziza Miller répandent une guimauve dont on se passerait. Album de facture classique, "Picture perfect" nous fait remonter aux années 60. Or à cette époque justement, Ahmad Jamal reformula l'esthétique du trio avec ses complices Israel Crosby et Vernell Fournier. Il est sans doute inutile de remonter le temps, mais le rapprochement avec les deux albums d'anthologie de 1958, "Ahmad‘s blues" et "Live at The Pershing", est inévitable (d'autant que le batteur de ce trio mythique vient de mourir dans un oubli presque total). Ahmad Jamal lui continue, heureusement, mais bien loin de la perfection.