Gamelan project first session

André Jaume & Sapto Raharjo

par Sophie Chambon le 30/05/2007

Note: 8.0    

Le label sudiste Celp s'engage depuis longtemps dans une action aventureuse autant que difficile (actuellement, sa distribution n'est plus assurée que par les Allumés du Jazz) pour éclairer le travail de quelques acteurs jazz en région. Le jazz a toujours été une musique d'urgence, de liberté, de prise de risque. Ce qui signifie que ces musiciens dit "régionaux" doivent s'engager dans une passe terriblement étroite. Et pourtant leur justification est de donner à voir et entendre "leurs" musiques.

André Jaume, un des maîtres des saxophones et de la clarinette basse, est à ce titre particulièrement emblématique de cette démarche. Co-fondateur du label bleu Celp avec Robert Bonaccorsi, totalement enraciné dans la réalité méditerranéenne, il a cependant toujours été ouvert sur le monde, multipliant les expériences avec les musiciens et cultures planétaires, du Nord au Sud, d'Est en Ouest. Cette recherche de métissages sans préjugés ni effets de mode l'a conduit à parcourir le monde et c'est ainsi qu'en 1995, invité par le Centre Culturel Français de l'île de Java, à Yogyakarta, il a tenté et réussi une expérience mémorable que l'on pourrait intituler "Jazz et gamelan", objet d'un double Cd que l'on peut se procurer sur le site des Allumés.

Le gamelan est un ensemble de percussions constitués de gongs isolés ou en carillon, de métallophones accordés, fonctionnant comme un clavier éclaté entre différents instrumentistes. A Java comme à Bali, les gamelans se rencontrent lors de diverses cérémonies, fêtes de cour, processions religieuses, théâtres d'ombres ou de masques, danses.

"Expérimenté, prêt à toutes les audaces, André Jaume a rencontré son équivalent-miroir en Sapto Raharjo" comme l'écrit joliment André Billy, à l'initiative du projet. Lors de cette rencontre qui eut lieu juste après la visite du temple de Borobodur, décision fut prise collectivement d'enregistrer librement selon l'émotion du moment : deux pièces en forme de suite furent ainsi enregistrées en deux jours. Face au groupe, au véritable collectif des musiciens indonésiens qui jouent à tour de rôle des divers instruments sans que l'on puisse même les identifier, André Jaume est sur tous les fronts, improvisant brillamment au saxophone ténor et soprano, relançant le jeu, équilibrant la donne avec talent, toujours inventif. Il soutient furieusement l'échange, développe le dialogue, fiévreux, virevoltant, toujours expressif, rarement mélancolique ou dans le registre de la plainte. Plutôt dans l'exaltation du chant.

Ainsi, on se surprend à reconnaître ce que l'on croyait impossible, la fusion devient effective et par extraordinaire, cette association de timbres ne se révèle jamais détonante, elle atteint très vite une qualité et une évidence troublantes pour une oreille occidentale. L'accord est parfait entre les saxophones vifs, acérés parfois ou rauques, plus sombres et les sonorités métalliques, percutantes, brillantes du gamelan. Si les tambours indiquent pulsation et changements de rythme, les gongs marquent les cycles, en fournissant des frappes éparses, la mélodie principale est rehaussée de contrepoints complexes.

On ne s'embarrasse pas longtemps à essayer de déchiffrer cette musique savante, mais on s'abandonne vite au lancinant vertige, à l'ivresse poétique du moment. Combinant spontanéité, lyrisme, rigueur des échanges cet album saisissant conduit sans violence vers de nouveaux territoires aux frontières toujours repoussées, selon la capacité d'ouverture de l'auditeur. Il nous entraîne de climats percussifs en moments de méditation et de rêve éveillé, sous la protection du volcan, au cœur des stupas, tout au long de la "Borobodur suite". Entre réflexion et transe, maîtrise et croyance. Jusqu'au bout du souffle.