Weather systems

Andrew Bird

par Jérôme Florio le 21/02/2004

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
Weather systems
Action / adventure
First song


Le quatrième disque en solo d'Andrew Bird s'est posé sans faire de bruit sur notre platine, l'air pas pressé d'y faire la pluie et le beau temps, en sifflotant : "Weather systems" s'ouvre comme "Scott 4" (Scott Walker), sur un bruissement de guitares acoustiques survolées par le plus beau sifflement entendu depuis longtemps, clair comme une scie musicale… le chant d'un merle bien décidé à faire entendre sa petite musique.

"First song" est une superbe valse country-folk, un pur morceau d'americana à la fois fervent et recueilli, qui tutoie les hauteurs de "Lilac wine" par Jeff Buckley. Inspirée d'un poème de Galway Kinnell, c'est une vision fugace de l'Illinois, un précieux retour sur soi qui pince les cordes et le cœur : les violons subtils, la guitare et le beau contre-chant féminin de Nora O'Connor complètent le tableau. On se surprend à écouter en retenant son souffle, tenu en suspens par la voix de Bird qui lie harmonieusement les syllabes.

Natif de Chicago, Andrew Bird semble d'emblée s'inscrire dans la tradition folk : secondé à la production par Mark Nevers (membre des rénovateurs country Lambchop), il va se faire un malin plaisir de la plier à sa sensibilité. Violoniste classique de formation, Bird est aussi un fin connaisseur des musiques populaires américaines, qu'il enseigne par ailleurs. Comme pour John Cunningham, un autre prof, l'érudition pèse aussi lourd qu'une plume : loin de paralyser, elle permet de tendre des passerelles inédites entre différents styles.

Car on ne sait pas vraiment comment catégoriser cette musique, qui ressemble à toutes et à aucune en même temps ("Skin") : elle se situe au confluent de divers courants qui se coulent dans une évidente musicalité, des flux dont Andrew Bird se plaît à changer le cours. Musique classique, folk, country, pop ont patiemment sédimenté en passant par chez lui – un endroit dans lequel il se passe plein de choses étonnantes : des instruments se font des courbettes, des nuages rentrent par la porte pour sortir par la fenêtre... L'électricité s'y fait discrète, mais la lumière n'en est pas moins tenace.

Entre les deux titres à la facture folk "classique" qui enserrent tendrement le disque, beaucoup de surprises attendent l'auditeur attentif : un bourdon de violon vient implanter sa graine de déséquilibre dès la sombre "I", les rares notes de guitare électrique se font coupantes. On est bien dans un format pop pour la durée, mais loin des canons d'écriture du genre : Bird se joue de la structure couplet–refrain, la grande qualité des arrangements de cordes renoue avec la sobriété chatoyante de ceux de Van Dyke Parks sur le premier disque de Rufus Wainwright ("Lull", "Action / adventure").

Andrew Bird nous joue un drôle de tour : depuis le début il nous tient par la main, il fait bien attention à ne pas nous perdre, en prenant des précautions de peseur d'œufs de mouche sur des toiles d'araignée. Puis il nous lâche brièvement sur la fin mouvante de "Lull". Encore un peu plus sur les remous progressifs et symphoniques de "5", court instrumental qui nous laisse juste le temps d'avoir un gros vertige : des nappes de violon retravaillées créent un espace sans horizon, sur lequel flotte le sifflement et le violon de Bird joué pizzicato. Il nous rattrape sur "Sovay" et "Skin", et enfin nous largue sans sommations dans le grand bain de "Weather systems", sommet du disque. Là, on est plus proche que jamais des vignettes de musique de chambre de Colin Blunstone sur "One year", mais pas seulement : les arrangements sont à ranger plus près de Debussy, ou d'un Lied, que du rayon rock de la discothèque. Le chroniqueur se rend humblement compte qu'il manque de références, et il est ravi : mine de rien, Bird force à ouvrir les oreilles en grand, brouille les certitudes et les repères. Et quand il nous dépose sur le final "Don't be scared", accueilli par Nora O'Connor, on revient de loin. Finalement, après nous avoir fait traverser la crue sage qu'il a organisée de bout en bout, Andrew Bird nous aura mené à bon port.


ANDREW BIRD Weather systems (Live Concert Blogothèque)