Arzachel

Arzachel

par Francois Branchon le 28/06/2001

Note: 9.0    

Une histoire abracadabrantesque ! Canterbury années soixante. La "scène" locale, pas encore "école", éclot juste, les allumés de Soft Machine préparent leur beau bizarre premier album, et quatre étudiants forment Uriel, avalent des pills à la louche et décident d'être le plus grand groupe psychédélique anglais. Mais Steve Hillage, le leader et guitariste, est ambitieux et son pote organiste David Stewart avec qui il forment le noyau d'Uriel l'est tout autant. Personne ne voulant produire leur rock planant débridé, ils virent progressif (optique King Crimson), sans Hillage qui rejoint l'université, signent chez Deram. Le sous-label de la très cul-serré Decca impose un changement de nom, Uriel ('trop proche d'urine') mutant en Egg, un nom parfaitement ridicule (mais qui réduit les frais de graphisme !).

En pleine promo de l'album de Egg, un barge se porte volontaire pour produire les héroïques morceaux lysergiques d'antan. Le groupe tout juste signé hésite, puis fonce dans son histoire : il va jouer masqué, prendre un faux nom, Arzachel, et des patronymes farfelus pour les musiciens. Hillage, rappellé, se teint les cheveux et devient Simon Sasparella (parfait pour tester les micros), Dave Stewart se réincarne en Sam Lee-Uff (un prof de latin autrefois haï), le batteur Clive Brooks en Basil Dowling (un prof aussi mais de maths, tout aussi haï) et le bassite Mont Campbell en Njerogi Gategaka (!). L'album qui paraît en 1969 sur le minuscule label Zel se vendra à 14 exemplaires, mais à la fin des seventies, il circule en pirate, atteignant des cotes record. Consacré par certains (Nick Saloman de Bevis Frond) comme le sommet définitif du psychédélisme anglais, Arzachel est un album enregistré en une journée, comme un gag, par quatre gamins de dix-huit ans, pas à jeun, tous atteints de cette folie qui planait alors au-dessus d'une Angleterre pondeuse insatiable, des Hendrix, des Nice, des Cream, des Spooky Tooth, des Pink Floyd...

Dominée par un duo guitare électrique/orgue Hammond en régime continu, aux mains de deux musiciens hors-pair (Steve Hillage entamera ensuite une longue carrière, avec Gong, en solo ou de producteur), nourrie de blues porté à l'incandescence ("Leg" s'inspire de "Rolling & tumbling" de Robert Johnson), la musique d'Arzachel fait aussi parfois penser à du Vanilla Fudge à l'anglaise (ceux qui se souviennent des albums "Renaissance" ou "Near the beginning" de ces derniers saisiront le parallèle) et parfois au Crazy World de Arthur Brown, dont ils assurèrent plusieurs premières parties ("Clean innocent fun"). Pour respecter les codes de l'époque, un morceau unique occupait la face B du vinyle, les 17 minutes de la jam psychédélique "Metempsychosis". Le son est moyen, il y a de la réverb sur tout ce qui bouge, mais c'est incontestablement une perle.