San Francisco - 1965-1970 Les années psychédéliques

Barney Hoskyns

par Francois Branchon le 02/10/2006

Note: 10.0    

Juste après le premier Doors, je tombai en 1968 dans le rock de San Francisco ("Anthem of the sun" du Dead et "After bathing at Baxter's" de l'Airplane) pour ne plus en émerger pendant quelques années, accumulant albums, avalant livres et articles, punaisant des posters desquels, les soirs mouvant, s'échappaient Jerry ou Jorma pour planter des solos entre le lavabo et le lit de ma chambre en cite U, rien que pour moi.

San Francisco était nimbée d'inaccessible, un paradis sur terre - nous Européens devions nous contenter de notre ersatz Amsterdam - où le rock était musique officielle, où des Pygmalions dévoués organisaient des concerts où le trip était compris dans le ticket...

Or voici qu'un bouquin vient en 150 pages remettre quelques pendules à l'heure, retracer l'Histoire - exacte -, mettre en lumière les intérêts, les opportunismes, les sentiments trahis, les conflits puis la victoire finale du business, en installant les protagonistes à leur vraie place, qui est parfois assez loin de celle qu'ils s'attribuèrent.

Le livre, écrit par Barney Hoskyns, une plume reconnue (Mojo, Rolling Stone, NME) et documenté, est chronologique, retrace la genèse du mouvement, sa philosophie libertaire (dès 1966), l'envie de le populariser (les premiers acid-tests des Merry Pranksters fin 66) vite entravée par les limites "organisationnelles" des hippies (1967), la prise de pouvoir des "managers" (Bill Graham) flairant le filon (1968) et l'élimination des fondateurs, jusqu'à leur salles co-gérées (L'Avallon Ballroom ruiné par le même Graham) puis la fin de l'épopée, les splits, les morts.

Barney Hoskyns, au fil de ce "roman", recadre aussi la scène côté groupes, avec la chronologie précise de chacun, leurs origines, leurs albums, leur public, qu'on découvre plus multiforme qu'attendu, des hippies (derrière le Dead et l'Airplane), aux rockeurs garage ayant raté le coche (Chocolate Watch Band, Charlatans) via la guimauve pour teenagers (chefs de file Beau Brummels, essentiellement produite par un label très mercantile dirigé alors par un certain... Sly Stone).

On note au passage les groupes opportunistes (déjà signés par les majors) qui accourent au début 68 de tous les Usa pour se greffer au mouvement et se faire labelliser "groupe de SF" (Steve Miller Band), un mouvement qui fera levier pour le basculement vers le tout commerce et la prise de pouvoir locale de Bill Graham sur les "avachis" (comme il les nommaient).

Barney Hoskyns révèle aussi les relations tendues (en lieu et place de "l'harmonie" vantée) entre les hippies de SF et l'extrême-gauche universitaire de Berkeley (de l'autre côté de la Baie), les seconds ne supportant pas les joints des premiers, le livre éclairant à ce sujet, le rôle intéressant de Country Joe McDonald et son Fish - groupe hippie mais de Berkeley - en go-between entre les deux communautés.

Enfin, Hoskyns est assez exhaustif sur l'histoire de l'acide (Ken Kesey et les autres) et des expériences psychiques en tous genres (les curieux sauront ainsi précisément de ce que les gens de l'Airplane ont avalé pendant l'enregistrement de l'ahurissant "Baxter's"...)

Si l'on fut un Frisco freak dans sa jeunesse, on prend donc quelques claques, on réalise à quel point le festival de Monterey à l'été 67 fut une arnaque montée par les maisons de disques - toutes sises à L.A. -, le nom de Fillmore perd un peu de sa magie (et dire que l'Airplane y a joué 85 fois en 5 ans !) et on regrette de n'avoir pu connaître "l'avant" de ce qu'on nous a vendu, celui des Pranksters, des premiers acid-tests...
Mais on sort soulagé d'avoir vénéré le Grateful Dead, un des fils rouges du livre, groupe associé à TOUTE l'histoire de San Francisco, avec une science musicale, un désintéressement et un esprit communautaire qui en firent des gourous naturels et dont le succès, à SF chez eux mais aussi ailleurs dans le monde, et la sagesse empêchèrent une quelconque OPA, et le Jefferson Airplane, qui lui joua la carte business à fond (avec RCA), mais avec les moyens d'imposer ses vues (création de son label interne Grunt) et restés intègres (cf la chanson "Third week in the Chelsea" de Kaukonen en 1972).

Un bouquin passionnant.

Collection Castor Music (dirigée par Philippe Blanchet)
Traduit de l'anglais par Emmanuel Dazin.
175 pages - 9€