La Musique de Paris Dernière

Béatrice Ardisson

par Francois Branchon le 22/10/2000

Note: 5.0    

Le concept est séduisant : compiler des chansons connues via leurs reprises par des groupes qui le sont moins, si possible dans des interprétations sortant de l'ordinaire. En leur temps, des radios pointues présentaient de semblables cocktails via des émissions spécialisés, Radio Bellevue à Lyon par exemple dans les 80's avec "Zyklon B" ou FG à Paris au début des 90's avec "Delicious". Ces deux émissions de votre serviteur recherchaient le décalage, y rajoutaient de la déjante (version casher de "Walk on the wild side" de Lou Reed), des reprises tordues (Led Zeppelin au kazoo) et des interprètes un peu barges (Fred Blassie). Bref, des cocktails plus Molotov que Martini.

L'émission Paris Dernière optait d'ailleurs à ses débuts pour de similaires jouissances. Or voici que paraît cette très luxueuse compilation et une sacrée confusion s'installe. Passe encore que Mr Ardisson nous vende ce concept comme une invention-maison, mais il y a surtout tromperie sur la teneur en bizarrerie de la marchandise. Les musiques qui dans l'émission soutenaient les traversées accélérées de Paris étaient choisies avec goût et ironie, avec la saveur que donne le décalage. Or, plus aucune trace ici de ces mariages entre carpes et lapins, au profit (détriment) au contraire d'une sélection plutôt "tendance" ! Béatrice Ardisson arpente le lounge, les apparts cossus et privilégie un easy listening de cocktails branchés biberonnant à l'exotisme des musiques du monde, dont est si friande la nouvelle variété à la mode (de Pink Martini à Karl Zero), la même qui porte depuis deux ans Burt Bacharach au pinacle et s'est mise à trouver Bourvil furieusement "géniaaal" !

Bref, on ne se marre pas une seule seconde, tout est très produit, donnant la désagréable impression d'un constant "faites gaffe les mecs, on est sur un concept". Difficile donc, le parti-pris de la parodie écarté, de s'attaquer "sérieusement" à des standards pop-rock 60's/70's sans risquer les comparaisons. Où est donc l'intérêt de "Drive my car" des Beatles arrangé latino-mode par Diego Pelaez ? Celui de "Aguas de marco" de Carlos Jobim par le trip-hop tribal de Smoke City ? Quelle finesse peuvent bien ajouter les Fun Lovin' Criminals au déjà très subtil "I'm not in love" de Ten CC ? Et "Norwegian wood" (plus belle ballade des Beatles) scrupuleusement décalquée par Cornershop ? "Rock around the clock" par les petits Kraftwerk belges de Telex joue le contraste et pourrait être marrante s'il n'était lui-même le rappel de l'époque d'une autre "attitude" (en 1979, Telex reprenait dans le même esprit "Dance to the music" de Sly Stone). Seule la reprise de "Happy together" des Turtles lorgne vers un décalage timide : elle est signée de l'Ensemble de l'Armée Rouge et des Leningrad Cowboys !

Le livret, malgré quelques remarques sentant son copinage - "Sex machine" - et une contribution aux progrès de la géométrie - Yves Bigot nous invente la "diagonale du triangle" (!) -, est luxueux et souvent instructif. C'est lui qui nous donne une des clés de la jouissance de cette compilation : le "sentiment de distanciation post-moderne". Ah... mais c'est bien sûr !