Contemplation

Benjamin Koppel

par Sophie Chambon le 26/09/2008

Note: 9.0    

Cet album du jeune label Cowbell créé par le saxophoniste danois Benjamin Koppel est saisissant de "force tranquille", de respiration, de goût du silence. On avait apprécié ce musicien dans un tout autre contexte, avec l'European Jazz Factory en compagnie de Daniel Humair et Cedric Piromalli. Là c'est autre chose avec le Canadien Paul Bley, compagnon idéal pour une aventure musicale de cette teneur : avec son phrasé aéré et sa manière de faire respirer la musique, le pianiste apporte au moins 7 des 17 variations libres de cet intrigant "Contemplation". Chacune des pièces assez courtes qui s'emboîtent parfaitement dans l'ensemble de ce tableau musical sont laissées aux instrumentistes du quintet, constituant autant d'images sonores, d'une forme toujours expérimentale.

Que peut bien évoquer cette musique dans laquelle nous plonge cet album ? Sûrement diverses méditations d'une journée, lentement ponctuées d'affirmations profondes, plutôt mesurées mais toujours inattendues. De l'humour aussi ("This is jazz"). On avoue notre surprise à la lecture des titres, car le thème des baleines semble avoir fasciné Benjamin Koppel. L'univers du grand Bleu et des cétacés le captive peut être, tout comme est captivante d'un bout à l'autre, l'immersion dans la musique du groupe : la jouissance du son le dispute à la pertinence du propos, constituant une invitation au songe, et à la liberté, de jeu, d'écoute, de sens. Cristallin et profond le piano de Bley se joint aux coulées des saxophones de Benjamin Koppel, dans le souffle, la confidence, jamais la plainte. Même les grondements rauques de saxhorn (superbe fusion du baryton avec le tuba) ne parviennent pas à troubler la quiétude de cette balade, les graves agissant au contraire avec une fonction apaisante.

De concert, sans concertation apparente, puisque tout est improvisé avec aisance, voilà une leçon d'équilibre qui parvient à cette forme d'intensité par la maîtrise du silence, l'audace du manque encore une fois. Thommy Anderssom, le complice de Koppel à la contrebasse, agit avec une discrétion efficace, doublant de son chant intérieur le discours du saxophoniste, qui multiplie les effets avec ses divers instruments, en plasticien sonore. Une musique qui ne coule pas de source, mais d'évidence possède une énergie fluide. Un pari réussi, en adéquation entre la forme et le fond, moins dans l'abrupt et les stridences que dans une réflexive avec les résonances percussives de Marylin Mazur. Décidément les Scandinaves ont une façon passionnante de faire du jazz, qui résiste à toute tentation, tentative de facilité. Peut-être sont ils, parmi les Européens, les plus sensibles à cette tradition d'improviser, de se mettre en danger, d'écouter les autres musiciens, de pratiquer vraiment l'échange ?