Chante Ferré

Bernard Lavilliers

par Thomas D. Lavorel le 17/05/2010

Note: 1.0    

Léo Ferré, c’est beaucoup plus qu’un monument. Il a chanté, il a eu son heure de gloire quand il accompagnait les révoltes avec sa crinière de vieux lion guerrier, puis s’est retiré, s’est exilé dans un coin de Toscane, pour "reverdir" comme il disait… Là, il a continué d’écrire, de composer, n’a pas cessé de travailler. A quoi ? A la postérité peut-être. C’est qu’il devait encore en avoir sous la caboche, ne pas avoir fini d’en parler. De quoi ? — ça… Et puis un jour, il est vraiment parti, s’en est allé fumer "autre chose que des celtiques" ; derrière lui, il laisse une quantité, un tas d’esquisses, de tracés discrets, traversés par ces axes particuliers qu’il n’a cessé lui-même d’explorer. Autour de ça, c’était à nous de le poursuivre, de le prolonger, dans l’invention permanente, d’aller avec lui là où il ne serait jamais allé. Après Ferré, c’est le monde qui reste à construire, le monde à l’envers du monde. En quelque sorte, c’est un patrimoine qu’il laisse, ou qui le compose désormais, pour nous, plus qu’un monument ; un héritage mais pour lequel il ne nomme aucun héritier. Comment aurait-il pu ? Serait "héritier" de Ferré ce qui saurait se glisser à ses hauteurs, voilà tout. Ceci pour dire : travailler Ferré, ou autour de Ferré, pourquoi pas, puisque les portes sont grandes ouvertes, puisqu’il nous en laisse la possibilité, mais il s’agit de ne pas s’y prendre comme des manches !

Long préambule…

Alors bien sûr, Bernard Lavilliers, lui, semble ne point douter un instant de sa légitimité à porter, dans son corps, la parole de Léo ; il n’en doute pas parce que, nous dit-on, Bernard aurait été des rares privilégiés à rencontre Ferré, durant les années Toscane, tous deux auraient même été "amis", et l’on dit encore que Léo voyait en Bernard "un digne successeur" — mais ce barafoin, on le dit aussi pour Didier Barbelivien, photos à l’appui !
Et alors ? qu’est-ce que vous en savez de ce que voyait Ferré quand il regardait les gens ? Sot serait celui qui verrait dans les signes ou preuves de cette prétendue "amitié" un critère d’excellence collé sur la tronche de Lavilliers, même s’il y en a au moins un qui aimerait y croire…
Mais lorsque Lavilliers prend à charge de "chanter" Ferré (un peu comme Ferré chantait les poètes, peut-être…), et bien on  ne reconnaît pas Ferré, sinon les mots bien sûr, mais les mots… ça n’a jamais taillé le bonhomme ! Quand il s’agissait tout à l’heure de ne pas s’y prendre comme des manches, ça voulait dire, par exemple, ne pas déambuler sur le plateau de ce prestigieux théâtre comme un vieux coq (vous savez, ce grand vieux coq chez Tex Avery) maniéré et tout en prétention, mauvais acteur, mauvais comédien, mauvais chanteur même — la puissance de Ferré, du chant, de la clameur de Ferré, on l’attendrait en vain ; ça voulait dire aussi, encore un exemple, de ne pas lavillieriser Ferré, surtout pas (mais Bernard n’aurait peut-être pas pu ferréiser Lavilliers). Oh, ce n’est pas tant que Lavilliers massacre Ferré, car le vieux Léo est pour longtemps loin au-dessus de ces fariboles, mais il le nullifie. Autrement dit, ce "tour de chant" est de l’ordre de l’inutile !

Pour conclure : à entendre au salon, ce ne sera pas désagréable, mais sur la scène, Lavilliers est au-dessous de tout, et doit bien le savoir sinon pourquoi autant de manières, de tricheries... S’il aimerait bien tromper son monde, son corps le rattrape au galop. Vieux coq. Réalité.