Yoko

Beulah

par Jérôme Florio le 09/04/2004

Note: 9.0    

En provenance de San Francisco, Bill Swan et Miles Kurosky (qui compose et chante tous les titres) sont depuis 1997 à la tête de Beulah. Au départ rattaché à la scène "rock indépendant" US, Beulah a d'abord évolué en groupe à effectif XL et joue aujourd'hui une pop très mélodique, spacieuse et grand format, voisine par moments de Wilco ou des Flaming Lips.

"Yoko", le titre de leur quatrième album, demeure assez mystérieux : on n'est pas dans le confinement d'une galerie d'art contemporain, où se déroulerait une performance de "cri qui tue" (spécialité douloureuse de la Ono sur ses disques). Bien au contraire, Beulah dispense une sensation d'espace, notion qui définit si bien les musiques américaines – l'Amérique que l'on aime bien, où vivent des tatoués au cœur tendre comme Elliott Smith.
L'auditeur a toute la place de se projeter sur la toile blanche en couverture de "Yoko" : bien qu'il dispose de moyens généreux, le groupe rejette les systématismes et place des touches de couleur aux endroits propices, plutôt que de peindre à la truelle – ici un banjo répand un parfum d'americana, là des trompettes soulignent un tracé quelques secondes, des chœurs nous ramènent pour quelques secondes dans un eldorado beatlesien.

Sans forcer le trait, dans un geste agréable de naturel, les chansons de Miles Kurosky sonnent sincères et honnêtes : une attitude franche du collier, des manières sans détours, servies par une production homogène et subtile qui ne la ramène jamais. Des gars bien, les Beulah, on est prêt à le parier. Mais pour l'heure, l'inspiration des textes est assez sombre, Kurosky détaille à la première personne des relations amoureuses qui ne sont pas au beau fixe ("Landslide baby", "You're only king once" – Yoko ?), voire carrément dans un état critique ("Hovering"). Il a l'élégance sans chichis d'habiller ces histoires de ruptures assez vaches par des mélodies accrocheuses, alors que les guitares sont toujours prêtes à mordre ("My side of the city", "Your mother loves you son").

Au départ, on ne donne pas cher de l'issue de "Me and Jesus don't talk anymore", au texte lucide et amer ("and though we are falling stars / we feel just fine") : elle semble condamnée à courber l'échine sous des guitares sourdes et un piano funèbre ; puis le tempo met un premier coup de boutoir au cafard, et une pedal-steel inespérée vient enlever le morceau, avant que quelques cordes ne viennent en toute fin se poser sur un coin de bitume mouillé. Une sorte de marche vers la lumière, alors que Miles Kurosky a toujours la tête dans des nuages noirs : les personnages de ses chansons semblent s'être trompés d'âme sœur, ils se raccrochent désespérément à des relations qu'ils savent pourtant vouées à l'échec. L'enchaînement avec "Fooled with the wrong guy" est très réussi, Beulah excelle sur les mid-tempos joués ample, les bras grands ouverts ; la courte trouée planante sur "Don't forget to breathe" s'élargit sur le final "Wipe your prints and run", longue plage aux accents presque progressifs, floydiens.

Des chansons solides et sensibles, qui provoquent un entêtant vague-à-l'âme sur lequel on peut siffloter gaiement : on aime bien le bois dont ces Beulah sont faits.