Dragon new warm mountainI believe in you

Big Thief

par Jérôme Florio le 24/02/2022

Note: 7.5    


Avec “Dragon new warm mountain I believe in you”, Big Thief fait main basse sur l’americana : un double album enregistré à quatre endroits différents des USA, avec la volonté de sortir de sa zone de confort et de tracer d'autres perspectives pour le groupe folk-rock le plus précieux du moment.

"Dragon..." documente Big Thief au pic d’une effervescence créative qui ne faiblit pas depuis la double sortie de "U.F.O.F." et "Two hands" en 2019 (propulsés par la fabuleuse "Not"). Buck Meek (guitariste) et James Krivchenia (batteur) ont depuis publié leurs propres disques ; le dépouillé "Songs and recordings" (un double, encore) d’Adrianne Lenker a marqué l’automne 2020. Juste après avoir enregistré ce dernier (entre avril et mai 2020), Big Thief a entamé un périple de cinq mois d’août à décembre, se délocalisant successivement au nord de l’Etat de New York, puis en  Californie (Topanga), dans le Colorado (les Rocky mountains) et enfin en Arizona (Tucson). Quatre lieux avec autant d’ingénieurs du son (le batteur James Krivchenia se charge de la production), et un parti-pris stylistique pour chaque occasion.

"Dragon..." rebat les cartes en s’éloignant parfois très loin du son folk-rock associé à Big Thief. Le groupe tente ici une approche brute prise sur le vif (les sessions du Colorado), ailleurs de l’électronique et des expérimentations sonores (Californie) ou tout le contraire en utilisant exclusivement un 8-pistes (Etat de New York) ; et même du jeu à cinq sur des vibrations country (Tucson, avec le renfort de Mat Davison). Le tracklisting du disque choisit de tout mélanger, privilégiant la dynamique à la cohérence. Au sens littéral, c'est un jeu de piste pour l’auditeur qui peut s’amuser à deviner le lieu de naissance de chaque chanson. 

Big Thief joue avec ses propres limites : les titres les plus distants de leur style habituel sont tous largement dispensables voire crispants ("Time escaping", "Little things", "Blurred view", "Simulation swarm", "Wake me up to drive"), et alourdissent la fin du premier disque. Heureusement, l’énergie country-rock des sessions de Tucson avec le fiddle (violon country) de Mat Davison font une belle rampe de lancement pour la deuxième partie ("Red moon", "Dried roses").

Ces fortunes diverses soulignent en creux la singularité de l’écriture et du chant d’Adrianne, autour desquels tout d'organise. Leur beauté atypique, un peu sauvage, ne se laisse pas dompter facilement et s’épanouit mieux dans un écosystème folk-rock joué serré, souvent en prise directe, dont le côté brut laisse surgir l’émotion ("Certainty", "Sparrow", "12 000 lines", l'atmosphérique chanson-titre "Dragon..." - peut-être la ligne de fuite la plus intéressante) ; "Change" est un petit miracle, une répétition enregistrée à l’insu des musiciens, soudés comme jamais autour des mots d’Adrianne.

Le disque finit fort. L'électrique "Love love love" a la tension des titres de Neil Young & Crazy Horse, avec des interventions inspirées du guitariste Buck Meek. "The only place", chantée et jouée en finger picking par Adrianne Lenker seule, aurait pu se trouver sur son très beau disque solo. Enfin, l'ambiance bon enfant et bancale de "Blue lightning" conclut sur une note de légèreté.

“Dragon new warm mountain I believe in you” est à ce jour le disque le plus varié de Big Thief, mais dont la longueur n'est pas nécessairement synonyme de longévité. Peu importe, ce groupe fait ce qu'il faut pour rester en vie.




BIG THIEF Red moon (Clip 2022)


BIG THIEF Dragon new warm mountain I believe in you (Audio seul 2022)