Ghost town

Bill Frisell

par Francois Branchon le 13/06/2000

Note: 8.0    

On raconte cette histoire (vraie ?) d'un roadie de Jimi Hendrix qui lors d'une balance brancha la Stratocaster sur les Marshall du maître, déchaînant un feedback infernal, incontrôlé et insoutenable, proche de la douleur. Comment Jimi Hendrix transformait le bruit en musique reste un des grands mystères de son génie. Bill Frisell aime parait-il beaucoup cette anecdote, et l'écoute de "Ghost town", sa dernière architecture-sculpture de sons en solitaire peut parfois y faire penser. Tout sur "Ghost town" porte sa signature, un album si immaculément posé et naturel, qu'on imagine mal quel autre guitariste pourrait l'imiter. Même le procédé aussi éculé qu'une juxtaposition de guitares acoustique et électrique (effet que toute ballade rock utilise), sonne comme nouveau sous ses doigts. Qui d'autre pourrait par exemple faire de "Wildwood flower" (rengaine de A.P. Carter) un subtil hommage à Blind Lemon Jefferson ? Le morceau lui sert de canevas pour ses extrapolations harmoniques, débutant par un picking exploratoire de deux bonnes minutes avant que le thème n'apparaisse. Il y a quelques autres discrets chef d'oeuvres dans "Ghost town", en particulier une nouvelle version de "Tales from the far side" (nuances sinistres, tempo de valse boiteux et grandiose solo électrique enchevêtré), mais la réelle réussite de l'album est la façon dont Bill Frisell enchaîne des thèmes aussi différents que "Follow your heart" de John McLaughlin, "I'm so lonesome i could cry" de Hank Williams et sa propre composition spatiale "What a world". Le liant qui les unit est aussi souple et doux que s'il s'agissait d'une suite. L'humeur change avec le son sombre et profond de "Winter always turns to spring", une complainte pleine de guitare manouche et le voyage musical se conclut avec deux morceaux qui pourraient faire office de parfait résumé de carrière : "Fingers snappin' and toes tappin'" (50 secondes de banjo totalement hors du temps) et la méditation électronique atmosphérique "Under a golden sky", plombée de grasses et carillonnantes notes suspendues. Tous deux consacrent Bill Frisell comme homme heureux et créateur de beau.