Ode to Billie Joe - Touch em with love

Bobbie Gentry

par Damien Berdot le 08/02/2009

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Ode to Billie Joe
Mississippi delta
I saw an angel die
Seasons come, seasons go

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Le label australien Raven Records a entrepris récemment de ressortir six des albums de Bobbie Gentry. Il faut l'en féliciter, car cela permettra peut-être de ramener un peu de lumière sur la carrière de cette chanteuse sudiste dont l'oeuvre, intéressante de bout en bout, fut éclipsée par le succès de son "Ode to Billie Joe". Bobbie Gentry avait tout pour elle : belle, avec sa longue chevelure noire, dotée d'une voix aussi à l'aise dans le murmure que dans les spasmes de la soul, elle jouait de la guitare et composait elle-même ses chansons, privilège dont bien peu de femmes disposaient à l'époque.
 
Le disque qui nous intéresse ici accole au premier album de Bobbie Gentry, "Ode to Billie Joe", son quatrième album solo, le plus sophistiqué "Touch'em with love". Ce choix peut paraître surprenant : la cohérence thématique eût été plus grande si Raven avait couplé les deux premiers albums. Mais il permet de réunir en un seul disque les plus grands succès commerciaux de Bobbie Gentry, de la country-folk des débuts à la soul plus produite de la fin.
 
"Ode to Billie Joe", paru en 1967, étonne encore quarante ans plus tard par sa densité et son originalité (il étonne encore davantage quand on sait que neuf de ses dix titres furent écrits par une chanteuse de vingt-deux ans). Ce voyage musical entre folk et country nous transporte dans la moiteur du Delta : là règne le "Southern Gothic" mis en mots par Faulkner, Tennessee Williams et John Kennedy Toole, avec ses malédictions familiales, ses superstitions, son sens du pittoresque... La chanson-titre est tout cela à la fois. Plus encore que le mystère qu'elle laisse planer (le jeune Billie Joe s'est-il suicidé à cause d'une grossesse non-désirée ?), il faut admirer la façon dont elle restitue l'ambiance d'un repas familial. Naviguant dans les mêmes eaux, héritant du même rythme de guitare syncopé, on citera "Chickasaw county child" (du nom du comté du Mississippi où Bobbie était née), "Lazy Willie" et surtout "Bugs" : les chansons consacrées aux insectes du Delta sont trop rares pour ne pas être signalées ! Comme pour mieux montrer que l'ode à Billie Joe n'est qu'une étape parmi d'autres, "Mississippi delta", un excellent swamp-rock propre à plaire aux amateurs de Creedence, fut initialement choisi comme face A du single, avant que son encombrant compagnon ne lui soit préféré par les radios. "Papa, won't you let me go to town with you", une fantaisie sur un rythme de valse, est un autre moment fort de l'album, de même que la belle ballade "I saw an angel die", avec ses arpèges de guitare et son harmonica. "Harry tuesday child", qui convoque les sonorités et les harmonies du jazz, et "Niki Hoeky", une reprise d'Aretha Franklin, achèvent de compléter la palette stylistique d'un album décidément sans faille.
 
"Touch'em with love", daté de 69, est considéré par certains comme le meilleur album de Bobbie Gentry. Il doit largement cette réputation au fait qu'il sortit cette dernière du contexte sudiste dans lequel elle s'était cantonnée jusqu'alors. Il souffre pourtant de deux défauts. D'abord, les arrangements de cordes n'ont pas l'étrangeté de ceux qu'avait créés Jimmie Haskell pour les premiers albums ; privés de la justification que leur apportait le cadre du Delta, ils perdent en efficacité, dégoulinant parfois dangereusement. Ensuite, l'album ne contient que deux originaux de Bobbie Gentry : "Glory Hallelujah, how they'll sing", description de la vie dans les églises du Sud, incorporant comme il se doit des choeurs de gospel, et "Seasons come, seasons go", magnifique, avec sa descente harmonique sur laquelle Gentry pose doucement sa voix. Mais "Greyhound goin' somewhere", qui s'achève sur une énumération de villes américaines (Cincinnati, Nashville, "maybe L.A."...) a la même douceur. Et surtout, Bobbie Gentry s'affirme comme une interprète idéale de "southern soul" : elle s'approprie "Son of a preacher man", ce qui lui vaudra des comparaisons avec le "Dusty in Memphis" paru la même année, et elle choisit pour chanson-titre un autre rejeton du tandem Hurley/Wilkins. La reprise du "I'll never fall in love again" de Burt Bacharach connut un certain succès au Royaume-Uni ; on lui préférera néanmoins la judicieuse reprise de "Natural to be gone", bel hommage à John Hartford.
 
Sept bonus tracks sont exhumés par Raven, dont une version du classique "Scarlett ribbons", trois reprises chantées en duo avec Glen Campbell... et une version en espagnol de "Here, there and everywhere". Du bien bel ouvrage !


BOBBIE GENTRY Ode to Billie Joe (TV 1967)