For Emma, forever ago

Bon Iver

par Rémi Sabonnadière le 16/11/2007

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
Flume
Skinny love
Lump sum


L'histoire de cet album, enregistré d'une main, seul dans une cabane paumée d'une forêt du Wisconsin est plus que tout autre liée à la vie de Justin Vernon son auteur. L'année 2006 est pour lui d'enfer : son groupe DeYarmond Edison se sépare, sa copine se casse, et il tombe malade. Pas de quoi bander. D'où la retraite dans le fameux chalet paternel et glacial pendant quatre mois. Pour se couper du monde, se retrouver, méditer, le monsieur passe ce "bon hiver" à chasser, couper du bois, se balader en forêt... et aussi écrire, beaucoup. De cette solitude inspiratrice vont sortir les neuf titres de "For Emma, forever ago".

Revenu à la civilisation, Justin Vernon renaît en Bon Iver (prononcer bon hiver) et autoproduit son bébé. A la guitare de base, les amis Christy Smith, John Dehaven et Randy Pingrey ajoutent flûte, tambour, batterie... Ces apports qui auraient pu être fatals à "l'isolement" voulu des enregistrements originaux le renforcent au contraire, et c'est une des réussite de son travail. L'album est ensuite mis à disposition en streaming sur le net (Pitchfork, Virb, Muzzle of Bees...). C'est là qu'en cette année 2007, le label défricheur Jagjaguwar (Okkervil River) le remarque et le signe pour une sortie officielle en janvier 2008 prochain. Beau conte d'hiver.

Avec une telle genèse, on pourrait craindre un condensé de solitude névrosée, exacerbée ou méditative un peu difficile d'accès, voire chiante. Il n'en n'est rien, malgré la rusticité ambiante (on la sent bien cette cabane et son feu de cheminée) et l'impression très nostalgique d'écouter un homme laissé au bord du monde avec sa guitare et ses souvenirs. On peut lui reprocher des textes épars, difficiles à reconstituer et à comprendre, où l'on sent le mal à faire le pas entre expression musicale et aveux privés. L'exercice de l'auto exorcisme semble difficile. Pour autant, de beaux textes jalonnent l'album, d'un homme exposant ses regrets sans pathos niaiseux, à l'image de "Flume", chanson magnifique et marquante, qui à elle seule semble intérioriser la tristesse de toute une vie.

L'ensemble est feutré, propre à une folk acoustique intime, mais quelquefois aussi faussement calme. La voix de Vernon, puissante, se développe en effet tout du long comme autant d'instruments se superposant à sa guitare. "Lump sum", ambiance d'église sombre, avec écho/espace de voix, "Creature fear", où l'assonance du son "fe", le phrasé et le rythme du chant orchestrent le morceau avec perfection, "Blindsided", obsédant par son seul chœur, sa seule mélodie répétée en boucle sans cesse... Bon Iver joue de la superposition de sa voix pour des effets dévastateurs, voire calamiteux ("Wolfes part 1 & 2" et son brouhaha de percussions "sous la main").

"For Emma, forever ago" dégage un sentiment rare de solitude et d'isolement, d'une quête qui hante son auteur comme nous hante son écoute. Un très bel album, honnête, sincère et simple. C'est rare aujourd'hui.