Quelqu'un m'a dit

Carla Bruni

par Francois Branchon le 01/12/2002

Note: 7.0    
Morceaux qui Tuent
Le ciel dans une chambre


Parrainée par Louis Bertignac - le seul ex-Téléphone fréquentable - Carla Bruni livre (et se livre dans) une première expérience plutôt intimiste, d'un intimisme assez authentique, en sachant - de manière naturelle - ne pas accrocher son wagon au train d'une chanson française murmurée, celle des artistes asthmatiques qui jouent assis et dont on devine les mots à travers les exhalations souffreteuses.

Bruni reprend au contraire le flambeau de chanteuses croisées dans les années cinquante et soixante, indépendantes et originales, aux chansons déposées et qui s'y entendaient pour installer, l'air de rien, une complicité (Jeanne Moreau, Françoise Hardy, Marie-José Neuville...). Ici la voix est presque rêche, les mots vont jusqu'à plier sous les images qu'ils expriment, Bruni est insidieuse. Peu de compositions à tomber par terre, mais aucune n'est anodine, du moins dans la première partie de l'album, franchement réussie, la fin sentant son étirement-délayage.

Passons sur le single "Quelqu'un m'a dit" en ouverture, bien tourné mais en voie d'overdose à force de programmation forcenée jusqu'à la moindre supérette de quartier. Le bien balancé et jazzy "Raphaël" rappelle le folk aride et ingénu de la Marie-Josée Neuville de 1959, "Tout le monde" possède un troublant dépouillement (un parfait enchaînement dans une compil au "Wise mans blues" de Perry Blake), le reprise de "La noyée" de Serge Gainsbourg évoque les années soixante et les débuts de Jeanne Moreau (on est loin des pleurnicheries de Birkin), "Le toi du moi" qui lui succède pourrait être un discret hommage à l'écriture du même SG (question à poser...), "Le ciel dans une chambre" enfin, est au milieu du gué LA réussite, où il est impossible de ne pas évoquer une référence stylée à Françoise Hardy.

Les arrangements de Bertignac sont toujours discrets, évocateurs, minimalistes souvent mais toujours chauds (guitares acoustiques douces, violoncelle, contrebasse...) avec parfois un solo électrique minuscule accroché au plafond ("Le ciel dans la chambre"), un couplet en langue maternelle italienne ("Le ciel dans une chambre" encore). On l'a d'ailleurs toujours bien aimé Bertignac, depuis le guitariste d'Higelin en 1975 à sa petite fantaisie "Cendrillon" en 1985 (dont le succès mit alors colère de jalousie la paire Aubert/Kolinka, opposée alors à sa sortie en single).

Souhaitons simplement à Carla Bruni de passer le cap de ce premier album, car son tout frais statut de "produit star" (donc kleenex) ne lui laissera guère d'échappatoire. Cet album dont on pouvait craindre le pire (les expériences "musicales" des porte-manteaux sont rarement impérissables) semblait conçu et écrit pour être découvert par le bouche à oreille, la seule manière possible d'installer une carrière dans le durable, dans la fidélité des fans. Mais sa notoriété de mannequin-égérie de Lagerfeld lui a donné la fameuse "carte" (ce sésame qui ouvre automatiquement toutes les portes) et une exposition médiatique tout azimut gagnée sans combat (qu'en pensent les artistes qui rament depuis dix ans, par exemple ce cher Bonzom ?). Passer directement de rien au stade de vedette "people" n'est pas sans risque. Devoir séduire des "consommateurs" plutôt que des "mélomanes" risque de décaper assez vite les aspérités qui font son charme.