Jukebox

Cat Power

par Jérôme Florio le 25/01/2008

Note: 8.0    

Huit ans après "The covers record", Cat Power revient avec un nouveau disque de reprises : de quoi mesurer le chemin parcouru, de l'écorchée vive indie-rock à la chanteuse apparemment confiante d'aujourd'hui. Ce nouveau choix de chansons est éclectique : Frank Sinatra, Hank Williams, James Brown, Bob Dylan, Billie Holiday… une sélection "classic-rock", du mainstream digne vers lequel Chan Marshall semble se diriger depuis "The greatest" (2006).

Les crises semblent loin. On n'est pas du genre à regretter certain soir de concert à Evreux, quand Chan était arrivée sur scène en larmes. Depuis "The greatest", elle semble plus sereine et touche un public plus large (je l'ai entendue au Géant Casino en faisant mes courses...). C'est accompagnée de vétérans de Memphis (parmi lesquels Spooner Oldham, Leroy et Mabon Hodges ou Steve Potts) que Chan Marshall a enregistré "The greatest" et maintenant "Jukebox" : un recentrage qui semble chez elle durable – davantage qu'un Bonnie Prince Billy, pour lequel le "middle-of-the-road" est un exercice de style passager ("Sings greatest Palace music" en 2004, sur lequel il réinterprétait ses chansons avec lui aussi des requins de studio de Memphis). Plus proches de gros matous pépères que félins aux griffes acérées, ces excellents musiciens plombaient "The greatest", la faute sans doute à des compositions de Marshall pas assez solides. "Jukebox" est meilleur en partie grâce au matériau de départ, bien que ces reprises n'en soient pas vraiment : les textes sont rentrés au chausse-pied sur des musiques qui n'ont plus rien à voir avec les originaux. En ce sens, Chan Marshall détourne l'exercice (comme Stina Nordenstam avec "People are strange").

Cat Power intègre sur "Jukebox" des musiciens issus de la scène rock Us : Judah Bauer, guitariste des nerveux Blues Explosion, et Jim White, le très demandé batteur des Dirty Three (PJ Harvey, Nina Nastasia – le nouveau Jim Keltner ?). Selon les styles abordés, Marshall s'en sort diversement. Sur les titres issus de la soul ("Aretha, sing one for me", "Lost someone"), et sur les relectures dans le même genre (un "New York" bizarrement amputé de moitié, "I believe in you", "Woman left lonely", le féminisé "Ramblin' (Wo)man"), sa voix semble perdue dans le mix. On retombe alors dans les défauts de "The greatest" : il lui manque du coffre et de l'envergure pour soutenir ces chansons - l'entendre exhorter ses musiciens à la fin de "I believe in you" ("take it away !") tombe un peu à plat….
On la reconnaît davantage sur les titres folk et blues, plus dépouillés, un genre qui s'accomode mieux de ses capacités. "Silver Stallion" (du super-groupe country The Hyghwaymen), "Lord, help the poor & needy", conservent l'ambiance feutrée du disque tout en rendant visible la sensibilité à fleur de peau de Chan. Elle se place sur le piédestal aux côtés de ses aînés avec deux compositions originales, "Metal Heart" (déjà sur "Moon Pix" en 1998) et l'inédit "Song to Bobby", au riff proche de "Don't make promises you can't keep" de Tim Hardin. Pour finir, elle choisit de s'attaquer à un sommet vocal pour elle inaccessible : "Blue" de Joni Mitchell, qu'elle prend de biais comme pour le reste. C'est peut-être le titre qui sonne le plus juste sur ce disque, juste habillé d'un orgue (comme joué par le fantôme de Booker T.) et d'un piano en apesanteur.

Chan Marshall parvient encore à tirer son épingle du jeu, en jouant avec ses limites. C'est un pari risqué, qui verra se détourner d'elle quelques fans des débuts : mais "Jukebox" parvient in extremis à effectuer une synthèse, en équilibre instable, entre la fragilité de son auteur et un répertoire solide.


CAT POWER New York (Live TV David Letterman)