YRU still here ?

Ceramic Dog (Marc Ribot, Ches Smith, Shahzad Ismaily)

par Jérôme Florio le 05/08/2018

Note: 8.5    

Ceramic Dog est généralement programmé dans les festivals ou circuits jazz ; faute de mieux, les musiciens composant ce power trio étant tellement bons que la question du style n'a pour eux qu'une importance secondaire. Au premier plan, le versatile guitariste Marc Ribot, discrète légende de la scène new-yorkaise depuis une trentaine d'années, qui donne de la voix sur quasiment tous les titres. Les deux autres ne sont pas en reste, Shahzad Ismaily (basse, claviers) et le plus jeune Ches Smith (batteur ébouriffant qu'il faut voir en concert, avec ses bras qui se détendent comme des élastiques pour aller chercher des cymbales montées très haut).

Les jazzeux ont intérêt à prévoir des bouchons d'oreille : "YRU still here ?" est un disque chaud bouillant, composé et interprété en état d'urgence, toutes sirènes dehors. Un manifeste contre les Etats-Unis de Donald Trump. Tout d'abord dans le fond : Steve Bannon, Scott Pruitt – depuis lors débarqués – et d'autres sont nommément cités dans "Muslim jewish resistance" ; mais surtout et essentiellement dans la forme, car ce Ceramic Dog n'a rien de fragile, rue dans les brancards et bouffe à tous les râteliers l'écume aux lèvres. Post-punk, garage-blues (à la John Spencer sur "Agnes"), funk ("Freak freak freak on the peripherique") mâtiné de hip-hop ("Oral Sydney with a U"), cajun (on pense à Dr John sur "Pennsylvania 6.6666"), heavy blues (le Black Keys "Shut that kid up"), instrumental orientalisant (sitar indien sur "Orthodoxy"), rock agit-prop ("Muslim jewish resistance", "Fuck la Migra" - cette dernière désignant la police anti-immigration de la frontière avec le Mexique, complètement d'actualité avec la révoltante politique de séparation parents-enfants).
Au milieu de toute cette réjouissante tambouille, un trait d'inquiétude traverse la chanson-titre, remarquable de tension contenue. Partout les codes sont dynamités par des improvisations, des jams, des poussées bruitistes ou planantes. L'intention et l'énergie se muent presque en un flot de musique libertaire, transcendantal, dont on peut trouver une ascendance dans le krautrock des allemands Ash Ra Tempel ("Schwingungen", 1972, porté par la guitare de Manuel Göttsching, copyright François pour la référence).

Avec un style différent pour chaque composition tout en gardant une unité étonnante, Ribot et son Ceramic Dog ravivent le concept de melting pot, qui a longtemps défini les Etats-Unis d'Amérique dans l'inconscient collectif, et qui se trouve aujourd'hui mis en danger par la société qu'incarne Donald Trump, inculte, blanche et suprémaciste, à l'humanisme abîmé. "YRU still here" aide, et bien plus encore de l'autre côté de l'Atlantique, à résister.




CERAMIC DOG (Live KEXP 2016)



CERAMIC DOG Muslim jewish resistance (Live Zurich 2017)