DM blues

Chris Bailey

par Chtif le 21/07/2005

Note: 6.0    
Morceaux qui Tuent
Do they come from you
Home again


Au beau milieu des années 80, les oubliés du rock, légendes déchues, et autres loosers en crise de contrat avaient leur abbé Pierre : Patrick Mathé, tenancier de l’Emmaüs du binaire, New Rose Records. Un label indépendant des plus perspicaces où trouvèrent refuge Alex Chilton (Box Tops, Big Star), Roky Erickson (l’illuminé du 13th Floor Elevator), ou encore Moe Tucker du Velvet Underground.

The Saints, naufragés d’EMI après le pourtant excellent "Prehistoric sounds", furent les tout premiers à venir crier famine chez New Rose. "Paralytic tonight, Dublin tomorrow” sort en 1980, suivi par une tripotée de disques inégaux, mais bienvenus pour tous ceux qui se rappellent que "I’m stranded" portait déjà crânement l’auréole punk bien avant "Anarchy in the UK".

Racheté par FNAC Music en 1994, New Rose a sombré au gré de fatigantes et désormais banales restructurations managériales, mais Mathé poursuit ses bonnes oeuvres au sein de Last Call, sa dernière création. Profitant du regain d’intérêt que suscitent aujourd’hui des Saints enfin remis sur rails (nouvel album "Nothing is straight in my house" en 2005, coffret EMI en 2004), Mathé réédite en parallèle "DM blues", double recueil de morceaux enregistrés en solo par le chanteur Chris Bailey pour New Rose.

En apéritif, l’intégrale de "What we did on our holidays" (1984) présente un Bailey carrément festif, bien décidé à rentabiliser ses RTT à grand coup de boutanche ("I’m drinking") et de soirées crapuleuses ("In the midnight hour" de Wilson Pickett, "All night long"). On ressort les cuivres et les guitares entre potes, histoire de foutre un peu le boxon, comme avant ("Ghost ships"), et d’enchaîner quelques reprises totalement décomplexées (“I heard it through the grapevine”, “Amsterdam” version Bowie). Chris Bailey est en vacances et fait le vide, histoire surtout d’oublier l’ennui et les galères qui le minent depuis qu’il a laissé filer ses chances de succès.

En conclusion de cette première partie, le faussement guilleret "Another saturday night" (Sam Cooke) en dit long sur l’état d’esprit du bonhomme : "another saturday night and I aint got nobody… now how i wish i had someone to talk to". La transition avec les morceaux issus de "Casablanca" (1983) est idéale. Huit blues et ballades exécutés seul à la guitare, longue complainte de l’ami qui réclame notre oreille attentive pour y déposer ses sempiternelles peines de cœur. Blessé, Bailey baisse les bras et s’enferme dans un cynisme aigri mais réconfortant. Quoi de plus protecteur en effet, que de s’éviter l’inconvénient de l’effort en se résignant à jouer l’éternel perdant ? La confession bouleverse au prime abord par sa fragile interprétation ("Home again", superbe), mais elle finit par tourner en rond et lasser notre bonne volonté. L’oreille se fait distraite au fil des morceaux, et l’on finit par abandonner, nous aussi, le pauvre hère à ses tristes rabâchages.

La honte d’endosser le rôle du salaud submerge l’auditeur au moment d’introduire le deuxième disque. La joie d’y découvrir un Chris Bailey enfin revigoré n’en est que plus grande. Plusieurs années ont passé, et c’est un chanteur en pleine possession de ses moyens qui délivre "Savage entertainement" en 1992, un album résolument lumineux et charmeur. Non pas que le Saint en ait fini avec ses démons intérieurs, mais Bailey a désormais accepté sa position d’incompris magnifique pour s’en parer de romantisme. Il multiplie les sonorités acoustiques pour fait tomber les filles, à nouveau, et renoue avec ses origines irlandaises en parsemant ses compositions d’atours celtiques. Banjo, accordéon, violons, arrangements orchestraux (omniprésents sur le single "Do they come from you") et guitares parfois pompeuses (reliques des années 80 : flanger, écho...) remplacent ici les cuivres lubriques. La première écoute est déroutante, car Bailey opte pour une approche plus commerciale à laquelle l’intégrité des Saints ne nous avaient pas habitué. Une option casse-gueule heureusement soutenue par des qualités d’écriture sans faille.

En bonus, Bailey nous offre deux reprises d’Elvis, et surtout trois classiques des Saints interprétés seuls sur scène, complètement hantés par les suppliques d'une voix dépouillée.

Rarement compilation plus intime et humaine que celle-ci tombe entre nos mains. Une confession brutale sans tricherie ni faux semblants, entre amertume et moments de grâce : les deux versants d’un surdoué malchanceux destiné à rester dans l’ombre.