Au verso du premier disque de son ami, le dramaturge Jacques Audiberti - qui en connaissait un rayon question mots - sacre Claude Nougaro poète, mais de dimension supérieure, avec dans la manche l'atout de la "résonance concrète", la force de la musique et du chant que n'ont pas ses collègues de papier.
S'il n'était que poétique, le premier 25cm de Claude Nougaro serait déjà dense, avec ses neuf morceaux, (presque) tous devenus des classiques. Car le toulousain, qui devra attendre encore un peu pour véritablement exploser, avec des mises en musique un peu plus "centristes" ("Paris mai", "Bidonville"...), est un furieux amateur de jazz (et de blues), pétri de rythme, vibrant et tremblant, parfois possédé, et qui ne s'entoure pas de manchots. A l'image d'un Miles Davis improvisant en studio quelque temps auparavant la musique de "Ascenseur pour l'échafaud" de Louis Malle, Michel Legrand (pas encore usine à sirop hollywoodien) a rassemblé autour de lui un quintette français plutôt fine-fleur (Eddie Louiss, Guy Wallez, Guy Petersen, Christian Garros, Emile Serré) qui improvise tout. Et, à l'exception de "La chanson" (de style un peu trop "rive gauche"), tous les morceaux "balancent" comme on disait en 1962, la musique fuse sur les mots, serrée derrière le chanteur, exhalant des atmosphères sur le fil du rasoir ("Une petite fille", "Le rouge et le noir").
Le Nougaro "peintre de l'âme" des débuts est assurément le meilleur, puissant, faisant jaillir de vrais mots d'auteur, "55 kilos de chair fraîche, 55 grammes de nylon... les coureurs du tour de taille" ("Les Don Juan"), "allez-y les bergères, dansez autour de mes vers" ("Où"), des exercices de style littéraires happés par la musique et le chant pour échouer en blues de film glauque (fantastique "Le rouge et le noir") jusqu'à ses tubes inusables, "Le jazz et la java" ou le grandiose "Une petite fille", film noir, à bout de souffle à travers les rue de Paris, par nuit de pluie.
CLAUDE NOUGARO Une petite fille (Scopitone 1962)
CLAUDE NOUGARO Le jazz et la java (Scopitone 1962)