(Afrodisia presents) Spanish grooves

Compilation

par Filipe Francisco Carreira le 04/04/2002

Note: 7.0    
Morceaux qui Tuent
Fruta prohibida (par Moll & Moll)
Jibaro (par Elkin & Nelson)


Anton Garcia Abril, Elkin & Nelson, Max B, Moll & Moll...

Au début des années 70, jazz, funk et soul s'associent par le biais de musiques de film et de producteurs émérites tels que Quincy Jones. Cette vague atteint bientôt les rivages d'Europe et secoue violemment l'Espagne où une scène se constitue pour donner sa propre version, fiévreuse et passionnée, d'un genre nouveau aux possibilités infinies. "Spanish grooves" retrace cette épopée en réunissant seize chansons et thèmes des plus emblématiques.

Accompagnées de photos de vacances où se côtoient jeunes chevelus au teint hâlé et pères de famille à rouflaquettes et lunettes teintées, les notes de pochette décrivent ce mouvement comme un épisode méconnu de l'histoire de la pop espagnole. Un épisode méconnu ? Voilà qui enlève des complexes à un chroniqueur que "Bocaccio soul" d'Augusto Alguero avait pourtant mis dans l'embarras : "est-il possible qu'une musique au caractère si universel ait pu être produite en Espagne sans jamais venir jusqu'ici ? Qu'une musique aux arrangements cuivrés rappelant "Ma sorcière bien-aimée" et son univers féerique ait simplement pu être produite en Espagne ?".

Tirée d'une série télévisée du même nom, "El hombre y la tierra" d'Anton Garcia Abril surprend pour les mêmes raisons : son atmosphère, entre jazz et musique orientale, évoque la partition imaginée par Lalo Schifrin pour "Enter the dragon", le dernier classique de Bruce Lee. La reprise du classique de Baden Powell "Berimbau" (le "Bidonville" de Claude Nougaro) ou l'adaptation instrumentale du standard sixties "American woman" confirment enfin que "Spanish grooves" est avant tout un disque de mélanges et, plus encore, un disque de paradoxes. Car si les influences sont multiples et diverses, l'identité hispanique n'en est pas moins solidement ancrée - finalement -, ce que chaque écoute réaffirme avec force et conviction. Et toute la richesse du disque est là, dans cette rencontre inattendue entre les traditions locales et les sonorités nord-américaines, dans ces emprunts à la culture brésilienne - "Mugavero" et ses airs de samba -, dans cet attachement à la culture latino-américaine. Sur "Jibaro", cocktail explosif et détonnant signé Elkin & Nelson, duo colombien déjanté et fan de glam-rock, un halètement félin souligne la frénésie d'un rythme endiablé, conférant à ce titre une dimension festive et... érotique. Un érotisme au coeur de "Possession" (Max B), autoritaire et déclamatoire, porté par des chœurs féminins particulièrement suggestifs. Si la comparaison avec Serge Gainsbourg est inévitable, elle n'est cependant pas flatteuse puisque les paroles, d'un machisme assez idiot, situent le titre de Max B un cran en dessous de "Love on the beat" ou le pire de Gainsbourg ! Il en faudra davantage pour effacer l'émouvant souvenir laissé par "Fruta prohibida", somptueuse excursion à la croisée des chemins de la pop et des orchestres mariachi qui n'est pas sans rappeler le "Forever changes" de Love, chef d'œuvre culte et psychédélique. "Fruta Prohibida" justifie à lui seul la découverte d'un disque par ailleurs bourré de curiosités, illustration d'un parcours qui, en seize étapes et autant d'artistes, saisit par sa pertinence et attire l'œil - l'oreille ? - sur une scène à l'évidence TROP méconnue.