BOF Last days

Compilation

par Jérôme Florio le 07/01/2006

Note: 7.0    

"It's a long journey / From death to birth" : avec "Last days", Gus van Sant a voulu proposer sa vision des derniers jours de Kurt Cobain, en le travestissant sous un personnage nommé Blake (joué par l'acteur et musicien Michael Pitt). Comme pour "Elephant", Van Sant décale légèrement un fait divers réel pour laisser naître de la fiction – et à la différence de "Elephant", la sortie Cd de la bande originale semble avoir été pensée en amont du projet.

Pour superviser le choix des musiques, Gus van Sant s'est fait assister par Thuston Moore, présent avec sa compagne Kim Gordon sous le nom Mirror/Dash pour un "Electric pen" brouillé et brumeux. La présence des deux Sonic Youth est pleine de sens : c'est grâce à eux que Nirvana a signé sur la "major company" Geffen, accédant par là au succès international - avec tout l'effet destructeur que cela a eu sur Kurt Cobain. Dans le film, un poignant face-à-face réunit Kim Gordon et Blake/Cobain, comme pour renouer le dialogue avec un fantôme, un ami disparu. van Sant y met peut-être aussi de son histoire personnelle, lui qui a fait nommer Elliott Smith aux Oscars pour sa participation à la BO de "Will Hunting". Fragile, Smith a mis fin à ses jours en 2003. Autant d'éléments qui contribuent à la charge émotionnelle du film, et dont ce disque ne peut pas rendre totalement compte.

La première moitié est pour l'essentiel constituée de titres interprétés par Michael Pitt, avec son groupe Pagoda ("Death to birth", un "Fetus" entre Nirvana et Smashing Pumpkins) ou en solo : "That day", délire chaotique, impressionne moins que dans le film sans le lent travelling arrière de la caméra et la sensation de le voir se construire/détruire en direct. "Death to birth" (en version élimée) est un borborygme qui enfle jusqu'au cri douloureux et libératoire, et capture bien le personnage de Blake, auquel Michael Pitt offre une relative ressemblance vocale avec Kurt Cobain (en plus limité et sans aller au mimétisme quasi-total du groupe Seether). Visiblement très impliqué, il ne démérite pas, en forçant peut-être son naturel de bon garçon.

Gus van Sant se plaît à tourner autour de son sujet, essaye de le définir en dessinant les contours, n'en pointant jamais le centre. Cela fonctionne bien à l'image, mais le disque peine à suivre la même démarche et manque de cohérence. Il y a le classique "Venus in furs" du Velvet Underground ; deux titres de The Hermitt (alias Rodrigo Lopresti), l'un bancal et plaisant ("A pointless ride"), l'autre plus metal et passable ("Seen as none"). La fragilité du "Untitled" de Lukas Haas (lui aussi acteur du film et musicien) contraste avec le tragique de l'histoire. "Believe" est un morceau mou des non moins mollassons Tenlons Fort (quel nom !). "La Guerre" de Clément Janequin, musique renaissance du début 16e interprétée par les King's Singers (de Cambridge), amène une dimension religieuse - et pourquoi pas ironique au vu de l'icônification stupide et commerciale que l'on fait de certains, du Che à Cobain, de Marley à Morrison...

"Turen der wahrnehmung", longue plage de musique concrète d'Hildegard Westerkamp, est déjà présente dans "Elephant". La boucle est bouclée (laquelle ?), le disque s'achève comme le film commence : devant une cascade, dans la nature.