En 2004, le label The Numero
Group lance sa collection "Eccentric soul", une série de compilations
consacrées à la réédition de disques de soul music tombés depuis
longtemps dans l'oubli. Le concept est simple : plutôt que de
piocher des morceaux à droite à gauche et sortir des compils sans
vraie ligne directrice, chaque numéro de la série sera dédié à
un label en particulier. "The Capsoul label" est le tout premier
disque d'un catalogue qui en compte aujourd'hui plus de cinquante ;
il séduira les passionnés de la soul mais ravira aussi les amateurs
de ce qu'on pourrait appeler la petite histoire (le livret est très
détaillé), les fans de Blaxploitation ou ceux qui ont un penchant
bien marqué pour les losers magnifiques. Certains disquaires
estiment que le catalogue Eccentric Soul est spécialisé dans
l'anecdotique. Peut-être. Mais peut-être aussi faudrait-il le
considérer comme un travail d'historiens – en l'occurrence du vaste
univers de la soul et du rhythm & blues – et y voir le projet un
peu fou d'archivistes passionnés avides de faire découvrir un
patrimoine laissé à l'abandon, croupissant quelque part dans les
caves et les greniers des États-Unis.
Situé
géographiquement entre Stax et la Motown, Capsoul est un label de
Columbus (Ohio). Il fut fondé en 1970 et périclita quelques saisons
plus tard, dès 1973, envoyé par le fond suite à quelques erreurs
stratégiques et plusieurs liasses de dettes. A son actif, une
douzaine de 45 tours et juste un album. Pas de quoi fantasmer et
pourtant, la compilation contient une vingtaine de titres, soit la
quasi totalité de sa production éphémère. Une bonne partie de la
compil ne laisse pas de souvenirs impérissables – des morceaux de
bonne facture, sans plus – mais elle est déjà savoureuse. On
relèvera essentiellement le jump rhythm & blues endiablé de Elijah & the Ebonites et quelques singles méritants comme "Go on fool"
de Marion Black, dans des tonalités à la Johnny Ace, l'élégiaque
"Without love" de Ronnie Taylor avec son lamento enivrant joué
à l'orgue ou encore la ballade de Bill Moss, "Number one",
à la bonne humeur contagieuse.
En fait, le disque
décolle réellement avec le groupe phare de Capsoul, les Four Mints,
un quatuor qui avait de quoi rivaliser avec les romantiques Delfonics
de Philadelphie. Dans la catégorie aphrodisiaque, on peut se passer
en boucle la petite merveille montée sur doo-wop qu'est "Row my boat" ou le sublime "You're my desire". Et du côté festif,
"Too far gone", emmené par ses cuivres carillonnants et un
choeur de falsetto, vaut aussi le détour. Mais le meilleur de la
compil c'est peut-être encore "You can't blame me", à mettre à
l'actif d'un autre quatuor sauvé des limbes (Johnson, Hawkins, Tatum
& Durr). La chanson met en avant ce qui était la marque de
fabrique du label, en tout cas un de ses principaux atouts : une
section de cordes de grande qualité et des arrangements souvent
somptueux. Cadencé par une ligne de basse proto-hip-hop, le morceau
est sombre, complexe et totalement planant, une véritable perle –
l'équivalent d'une virée downtown avec Pam Grier au volant. Vu que
Pam ne prend plus d'auto-stoppeur depuis un bail, autant ne pas se faire
prier et se caler sur son siège, côté passager.
JOHNSON, HAWKINS, TATUM & DURR You can't blame me (Audio seul)
© Kojo Kamau - Eh oui bébé, ils étaient sapés comme des dieux, c'était l'heure du bonbon à la menthe...