Les Disques Motors

Compilation

par Francois Branchon le 09/01/2011

Note: 8.5    
Morceaux qui Tuent
Rock monsieur (Christophe)
Speed my speed (Alain Kan)


Francis Dreyfus, fondateur des Disques Motors fut, à l'image des premiers grands capitaines français du disque (Leon Cabat chez Vogue, Eddie Barclay...), un "entrepreneur-artiste" malgré les impératifs industriels, produisant des locomotives pour investir leurs succès dans des projets commercialement suicidaires mais excitants ou simplement amusants. L'aventure Motors dura jusqu'en 1985, après quoi FD reviendra à ses premières amours, le jazz, en fondant Dreyfus Jazz (pépinière de découvertes, dont Michel Petrucciani).

Cette rétrospective posthume (Dreyfus est décédé en juillet 2010), est l'occasion d'une plongée dans une décennie aventureuse démarrée au début des seventies, propulsée dès 1977 par le succès de Jean-Michel Jarre, un fils à papa mégalo déglutissant au synthétiseur une musique pour sons et lumières, qui va rapporter un maximum et devenir la vache à lait de tout un petit monde.

Certains gagneront le succès, Christophe en particulier, récupéré après une dégringolade post yéyé, et qui aura tous les chèques en blanc qu'il voudra avec Dreyfus. Des paris pas toujours à fonds perdus puisque les grands tubes 70's du dandy plouc seront estampillés Motors ("Succès fou", "Les paradis perdus"...), mais c'est l'époque où l'homme-pudding va aimer s'amuser en studio à bidouiller des machines, enfantant des titres connus des seuls acheteurs de ses 33 tours, autant dire de bien peu de monde (ce sont ses singles qui marchaient). Ainsi ce "Rock monsieur", petit chef d'œuvre qui va faire sérieusement tiquer a posteriori les amateurs d'Alan Vega : du pur Suicide, en 1973, quatre ans avant !

D'autres étaient obscurs avant Francis, et le resteront après Dreyfus. Ils font le sel de cette anthologie. Ferré Grignard, le barde belge, produit (en pure perte) tout au long des années soixante par Barclay, atterrit chez Deyfus en 1972, sans plus de succès pour "Lazy John" et "Cool it baby". Alain Kan, dandy parisien (et beau-frère de Christophe), se prenait pour le Bowie français : il en adapte "It ain't easy", la reprise de Ron Davies sur "Ziggy Stardust" en un "Pas si facile l'ami" qui tient la route, mais surtout se lâche avec "Speed my speed", listing exhaustif des dopes disponibles sur le marché, qui honore le rock français, un an avant les pauvres Telephone.

D'une manière générale, la tendance est plutôt au glam chez Motors, Maxim Rad ("No kin pin", "Times ain't that bad", "Liebling make me believe in something", "What are you killing tonight?") , Mounsi ("Seconde génération", "Camé kaze", "Mister Chester Himes"), Louis Deprestige ("Le coeur en état d'ivresse", "Dix mille degrés sur le bitume", "Miniuit l'Hôtel du Nord", "Le monde est rock", "Question de prestige") et Blue Vamp ("La veuve noire", "Marilyn") en suivent le filon.

Auberge des compositeurs de musiques de films, François de Roubaix ("Les pirates", "Du vent dans les voiles...", "Loin"), Jean-Claude Vannier ("L'ours paresseux") et Karl-Heinz Schäfer ("La grande trouille"), Motors accueille aussi Bernard Lavilliers en 1975, le faisant virer de bord, de la "Rive Gauche" vers la variété brésilienne (album "Le Stéphanois").

L'anthologie est complétée par le travail de Dreyfus dans les années soixante, quand, ami de Filipacchi, il est de l'aventure yéyé, producteur des artistes que manage Eddie Vartan : sa sœur Sylvie, le grandissime Larry Greco (que votre serviteur a réédité en Cd en 1991) présent ici, de même que Thierry Vincent, troisième couteau chez RCA, et adaptateur des Beatles en français en 1964, dont Dreyfus avait fait son producteur exécutif chez Motors.

Avec ses pochettes à l'esthétique de calendrier Pirelli du pauvre, Motors eut la bonne attitude de se faire plaisir avec des artistes dont on se demande qui prendrait aujourd'hui le risque de les produire. Rien que pour ça, on dit chapeau monsieur Dreyfus.




ALAIN KAN Speed my speed (1975 Audio seul)