Morceaux qui Tuent Rock monsieur (Christophe) Speed my speed (Alain Kan)
Francis Dreyfus, fondateur des Disques
Motors fut, à l'image des premiers grands capitaines français du disque (Leon Cabat
chez Vogue, Eddie Barclay...), un "entrepreneur-artiste" malgré les impératifs industriels, produisant
des locomotives pour investir leurs succès dans des projets
commercialement suicidaires mais excitants ou simplement
amusants. L'aventure Motors dura jusqu'en 1985, après quoi FD
reviendra à ses premières amours, le jazz, en fondant Dreyfus Jazz (pépinière de découvertes, dont Michel
Petrucciani).
Cette rétrospective posthume (Dreyfus
est décédé en juillet 2010), est l'occasion d'une plongée dans
une décennie aventureuse démarrée au début des seventies, propulsée dès
1977 par le succès de Jean-Michel Jarre, un fils à papa mégalo déglutissant au synthétiseur une musique pour sons et lumières, qui va rapporter un maximum et devenir la vache à lait
de tout un petit monde.
Certains gagneront le succès,
Christophe en particulier, récupéré après une dégringolade post
yéyé, et qui aura tous les chèques en blanc qu'il voudra avec
Dreyfus. Des paris pas toujours à fonds perdus puisque les grands
tubes 70's du dandy plouc seront estampillés Motors ("Succès
fou", "Les paradis perdus"...), mais c'est l'époque
où l'homme-pudding va aimer s'amuser en studio à bidouiller des
machines, enfantant des titres connus des seuls acheteurs de ses 33
tours, autant dire de bien peu de monde (ce sont ses singles qui
marchaient). Ainsi ce "Rock monsieur", petit chef d'œuvre qui va faire sérieusement tiquer a posteriori les amateurs d'Alan
Vega : du pur Suicide, en 1973, quatre ans avant !
D'autres
étaient obscurs avant Francis, et le resteront après Dreyfus. Ils
font le sel de cette anthologie. Ferré Grignard, le barde belge,
produit (en pure perte) tout au long des années soixante par
Barclay, atterrit chez Deyfus en 1972, sans plus de succès pour
"Lazy John" et "Cool it baby". Alain Kan,
dandy parisien (et beau-frère de Christophe), se prenait pour le
Bowie français : il en adapte "It ain't easy", la reprise
de Ron Davies sur "Ziggy Stardust" en un "Pas si
facile l'ami" qui tient la route, mais surtout se lâche avec
"Speed my speed", listing exhaustif des dopes disponibles
sur le marché, qui honore le rock français, un an avant les pauvres
Telephone.
D'une manière générale, la tendance est plutôt
au glam chez Motors, Maxim Rad ("No kin pin", "Times
ain't that bad", "Liebling make me believe in something",
"What are you killing tonight?") , Mounsi ("Seconde
génération", "Camé kaze", "Mister Chester
Himes"), Louis Deprestige ("Le coeur en état d'ivresse",
"Dix mille degrés sur le bitume", "Miniuit l'Hôtel
du Nord", "Le monde est rock", "Question de
prestige") et Blue Vamp ("La veuve noire", "Marilyn")
en suivent le filon.
Auberge des compositeurs de musiques de
films, François de Roubaix ("Les pirates", "Du vent
dans les voiles...", "Loin"), Jean-Claude Vannier
("L'ours paresseux") et Karl-Heinz Schäfer ("La
grande trouille"), Motors accueille aussi Bernard Lavilliers en
1975, le faisant virer de bord, de la "Rive Gauche"
vers la variété brésilienne (album "Le Stéphanois").
L'anthologie est complétée par le
travail de Dreyfus dans les années soixante, quand, ami de
Filipacchi, il est de l'aventure yéyé, producteur des artistes que
manage Eddie Vartan : sa sœur Sylvie, le grandissime Larry Greco
(que votre serviteur a réédité en Cd en 1991) présent ici, de
même que Thierry Vincent, troisième couteau chez RCA, et adaptateur
des Beatles en français en 1964, dont Dreyfus avait fait son
producteur exécutif chez Motors.
Avec ses pochettes à
l'esthétique de calendrier Pirelli du pauvre, Motors eut la bonne
attitude de se faire plaisir avec des artistes dont on se demande qui
prendrait aujourd'hui le risque de les produire. Rien que pour ça,
on dit chapeau monsieur Dreyfus.