Norman Granz presents improvisation (Charlie Parker, Duke Ellington, Count Basie, Joe Pass, Lester Young...)

Compilation

par Sophie Chambon le 07/06/2008

Note: 10.0    

L'improvisation dans le jazz est le thème et le fil conducteur de ce double Dvd produit par Norman Granz, Frank Ténot et Jacques Muyal en 1996, ressorti en 2006 par Eagle Vision. Compilation de séquences musicales pour la télévision américaine, il est aussi une manière de rendre hommage au formidable talent de découvreur de Norman Granz, grand producteur de jazz, fin connaisseur de musique mais aussi de cinéma et amateur de peinture (c'est en souvenir de son ami Picasso qu'il appela son label Pablo).

Mais s'agit bien plus qu'une précieuse collection de pépites d'archives. Le célèbre critique Nat Hentoff commente la genèse des divers extraits et tout d'abord cette séquence bluffante, organisée par le photographe Gjon Mili dans son studio en 1950, six ans après le célèbre "Jammin the blues" que l'on retrouvera en entier dans les bonus. Cette séance très particulière, organisée dans son studio pas vraiment adapté pour un enregistrement, fut synchronisée après le tournage. Gros plans et plans d'ensemble se succèdent mais avec une certaine mise en scène, la fine fleur du jazz des années 50 étant là pour improviser, ce qui constitue au fond l'essence même du jazz. C'est la première fois que Charlie Parker joue, avec un plaisir et une admiration évidents d'ailleurs, avec Coleman Hawkins; entrent en suite en scène, la formidable section rythmique composée d'Hank Jones arborant un chapeau "Pork pie hat", de Ray Brown et Buddy Rich, puis c'est au tour de Lester Young, Bill Harris sans oublier… Ella Fitzgerald.

Succession de sessions d'orchestres, Duke Ellington, Count Basie, un solo où le guitariste Joe Pass improvise avec lui même, Ella se produisant avec son trio. Lors d'une célèbre nuit à Montreux en 1977, le trio d'Oscar Peterson invite une "explosive frontline" composée des trompettistes Clark Terry et Dizzy Gillespie et du saxophoniste Eddie "LockJaw" Davis. On doit le titre de ce formidable échange à Count Basie lui même, qui regardant la scène des coulisses sur les écrans télé, eut l'idée de l'appeler "Ali & Frazier" en souvenir du match des deux poids lourds !

Un des extraits d'anthologie est sans aucun doute ce concert unique de Duke en trio à la Fondation Maeght à Saint Paul de Vence au milieu des sculptures de Joan Miro (en 1966, lors du festival de Juan les Pins, Norman Granz avait réalisé un classique "Duke Ellington at the Côte d'Azur", entraînant le pianiste du côté de chez Maeght).

Le second Dvd nous restitue des interviews plus ou moins intéressantes comme celle de Hank Jones (néanmoins drôle et charmant) qui essaie de mobiliser ses souvenirs après plus de 50 ans sur des prises inédites de cette séquence. Harry "Sweets" Edison se souvient que c'était toujours de la belle ouvrage avec Norman Granz qui s'y connaissait vraiment en jazz et exigeait toujours un blues pour finir l'enregistrement. Le plus formidable témoignage est celui de l'extraordinaire saxophoniste Phil Woods qui évoque ses souvenirs tendres et ses rencontres avec Charlie Parker.

Et, pour finir le chef d'œuvre "Jammin the blues", formidable court métrage oscarisé par ailleurs : un grain d'image, une atmosphère nocturne irréelle, une sorte de "midnight symphony" caractérisent cette jam session filmée en 1944 dans un décor épuré : ce seront parmi les plus belles images de Lester Young, figure impayable si triste et toujours fatiguée, un des grands du jazz au détachement apparent, véritable funambule des notes qu'accompagnent royalement Barney Kessel et Illinois Jacquet.