Nuggets : Artefacts 1965-1968

Compilation

par Francois Branchon le 01/12/1998

Note: 10.0     

En 1964, la jeune amérique musicale n'existe que dans une Californie spécifiquement "surf" (porte-drapeaux, les Beach Boys, Jan & Dean, les Surfaris...) ou à New York à travers une très vivante scène folk, d'abord de style "feu de camp" (Kingston Trio, Peter, Paul and Mary, Trini Lopez...) puis plus radicale (Dylan, Fred Neil, Tim Hardin...). Dès 1965, les vagues successives venues d’Angleterre vont susciter les vocations et faire éclore de nombreux groupes à l'énergie vivifiante et spontanée, punks avant la lettre. En 1965, tous les petits combos qui poussent dans les garages reprennent "Gloria" des Them ou "You really got me" des Kinks, ces anglais de la "British Invasion" qui dominent alors le monde.
De cette gigantesque chaudière sortira en 1967, la revanche américaine sur les Anglais, le rock psychédélique californien de la Côte Ouest (Doors et Love à Los Angeles, Jefferson Airplane et Grateful Dead à San Francisco) et le rock urbain de la Côte Est (Velvet Underground à New York, MC5 et les Stooges à Detroit). Le double album vinyle "Nuggetts" paru en 1972 sous l’égide de Jac Holzman, tête pensante de chez Elektra, et compilé par Lenny Kaye (futur guitariste de Patti Smith), rassemblait 27 groupes emblématiques, compilation définitive et mythique de la crème de l’époque.
Les sorciers de Rhino ont déjà abordé la chose, sortant graduellement entre 1986 et 1989 trois albums ("Nuggetts", "More Nuggetts" et "Even more Nuggetts"), fournis mais un peu désordonnés. Cette fois-ci, concentrés et sûrs de leur science, ils frappent fort, très fort même, en réalisant sous la forme d'un coffret de 4 Cd, une œuvre splendide et redoutable de jouissance, le plus beau des hommages aux sixties.
Le premier Cd reprend les groupes du double vinyle original. Les trois autres en offrent quelques titres supplémentaires et explorent surtout la caverne d’Ali Baba, ouvrent les malles, exhument les joyaux.

Cd 1 (27 titres) : Les indiscutables "Dirty water" des Standells, "I had to much to dream last night" des Electric Prunes, "Pushing too hard" des Seeds, "No time like the right time" du Blues Project, "Moulty" des Barbarians, "Oh yeah" des Shadows of Knight, "Night time" de Strangeloves, "You’re gonna miss me" des 13th Floor Elevators, "Tobacco road" de Blues Magoos, "Let’s talk about girls" du Chocolate Watch Band et autre "Psychotic reaction" du Count Five... Rien que du caviar !

Cd 2 (31 titres) : Ce sont pour la plupart ceux qui ont raté de peu la sélection de 72. Par injustice, pour Music Machine et son fulgurant "Talk talk" à basse nucléaire ou pour les Sonics (un "Strychnine" fondateur) ou plus logiquement par faute de place, pour Kenny & The Kasuals, The Litter, Kim Fowley (pas encore Dorian Gray du rock, avec son bien sale "The trip"), The Outsiders, The Swinging Medallions, The Squires...

Cd 3 (30 titres) et Cd 4 (30 titres) : les curiosités. Des clones charmants des Turtles (son rond, mélodies accrocheuses, joyeusement simple) comme Lyme & Cybelle ("Follow me"), The Gestures ("Run run run"), Lollipop Shoppe ("You must be a witch") ou "It’s cold outside", le chef d’oeuvre du genre signé The Choir. Des déclinaisons "à la Kinks" ou "à la Them" (icônes des garage bands) : The Rationals (reprise de "I need you"), The Unique ("You ain’t tuff"), The Kingsmen ("Louie Louie")... Ou la synthèse des deux réalisée par The Balloon Farm avec son fantastique "Question of temperature". Les punk stoniens Wailers ("Out of our tree") inventeurs du "Northwest sound" et inspirateurs des Sonics, le jouissif "I think i’m down" par The Harbinger Complex, combo à voix Jaggeriennes sur guitares fuzz sales, "I want candy" des Strangelove et leur beat à la Bo Diddley (hit paradisé en 1982 par Bow Wow Wow), "Complication" des excellents Monks, américains basés en Allemagne, "Codine" des Charlatans de Mike Wilhelm, "Mr pharmacist" de The Other Half, "Bad girl" de Zakary Thaks et LA découverte sortie de nulle part, jamais entendue en version originale auparavant, "(Would I still be) her big man" des Brigands, devenue en 1966 "Ah si j’avais pensé" par notre (grand) Noël Deschamps hexagonal.
Le livret est un livre monumental de 100 pages détaillant chacun des 118 morceaux, avec moult textes, photos, reproductions de pochettes rares et d’affiches de concerts... Un objet incontournable, malheureusement pas pressé en France et seulement importé.