Soul food

Cyrus Chesnut

par Sophie Chambon le 11/12/2001

Note: 9.0    

Toutes les compositions de Cyrus Chestnut, pianiste formé à l'école du hard bop, mais swinguant aussi comme un beau (et bon) diable, montrent l'étendue de son jeune talent : comme l'annonce le titre de l'album et le premier morceau, "Soul food" nous invite à une petite fête entre amis, pour déguster quelques mets choisis. Mise en jeu du corps autant que de l'esprit puisque Cyrus Chestnut visiblement à l'aise en sextette, avec les jeunes lions de la section des cuivres et des anches Marcus Printup à la trompette, Wycliffe Gordon au trombone, et James Carter au ténor, dégage aussi une certaine énergie en quartette dans "Brother with the mint", accompagné de Stefan Harris au vibraphone. Mais dans la formule plus classique du trio, sur un "Minor funk" au tempo rapide, le pianiste se déchaîne littéralement, avec un Chris McBride que l'on retrouve très inspiré sur "Fantasia". De l'humour revigorant d'un "Brother Hawky Hawk" très New Orleans, ensoleillé par le trombone de Wycliffe Gordon relayé bientôt par un James Carter toujours très excité, à l'éclatant "Minor funk", il passe sans la moindre transition au traditionnel "Coming through the rye", nettement plus mélancolique. Et sait aussi bien nous servir en solo un "Swing low sweet chariot" délicieusement ciselé, élégant et réfléchi. Cyrus Chestnut aime mêler les genres, déployant ainsi la palette variée de son talent et inscrit son actualité du jazz dans la reprise enjouée de la tradition. Il travaille dans toutes ces configurations à dresser, selon ses goûts, un panorama de la musique noire américaine, l'authentique source de sa culture et de son inspiration. La seule forme qu'il laisse volontiers de côté est celle du free, aux emportements libertaires. Avec toutes ses formations, Soul Food montre un musicien protéiforme qui n'hésite pas à proposer trois disques en un seul album. Cyrus Chestnut nous régale ainsi d'un véritable festin d'une généreuse ardeur. Le toucher du pianiste peut être rond et doux, mais après un début empreint de réserve et de finesse rythmique, l'énergie se dégage au fil des morceaux, ce bon vieux jazz servant alors moins de prétexte décoratif que de fond musical à transfigurer. Ne boudons pas notre plaisir et laissons nous tenter par ce registre festif, inépuisable semble-t-il, en savourant comme il se doit ces 'nourritures spirituelles'.