| | | par Rémi Bouzols le 26/05/2014
| Morceaux qui Tuent Photograph Eggs at night Hubba Bubba
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| Mais
si, Damaged Bug on connait. C'est John Dwyer, leader stakhanoviste
des Thee Oh Sees et chef de file du renouveau
garage-psyché-pop-ce-que-tu-voudras de San Francisco (Ty Segall,
White Fence, Warm Soda, Hunx and his Punx...) qui s'y cache. Les
Thee Oh Sees s'étant séparés pour un bout de temps, John s'est
retrouvé à bidouiller tout seul ses chansonnettes krautrock, et
pour changer encore un peu plus son monde, il s'est mis aux
synthétiseurs, plus brave Moog antique que clavier dernier cri pour
musicien de technopole, et... c'est tant mieux, moins banal. Et
beaucoup plus cool.
Sur
ce court album (une trentaine de minutes) notre homme se lâche et
fatigue sa bestiole en tournant les potards au pif jusqu'à trouver
un son marrant, une suite d'accords évidente qu'il va répéter en
boucle et une mélodie à marmonner par dessus. Cela pourrait être
affreux, c'est formidable : on aboutit à une sorte de musique
électronique rudimentaire moulée dans un format pop bubblegum,
renforcé à l'acide. Appétissant ? Pour couronner le tout, Dwyer
chante sur la quasi totalité des chansons, des paroles comme "Am
I a waste of life ? I asked the night" ("Suis-je un
gâchis de vie ? J'ai demandé à la nuit") d'une voix oscillant
entre déprime pure et rêverie douce.
Il
y a même des singles pop évidents ("Photograph", "Eggs
at night") qui raviront d'emblée n'importe quelle cervelle
teenager un tant soit peu dérangée. Mais on trouve aussi dans le
coin des blip-blips et des sons bizarroïdes en vrac, ainsi qu'un
paquet de titres allumés qui feront fondre à merveille vos
chamallows hallucinogènes, "Sic bay surprise" pour la voix
haut perchée de Dwyer et le bourrinage sonore de l'intro, "Hubba
Bubba" pour la béatitude et "Hot swells" pour son
odeur de cannabis. Le tout est nimbé d'une lobotomie régressive
("Gloves for garbage") et d'une mélancolie lugubre
("Eggs at night", "Rope burn", "Photograph")
qui font du bien à l'âme.
MÉLANCOLIE,
donc : le mot est lâché, et il colle bien à l'album. Mais du genre
primaire, la tristesse sans dentelle autour. On est quand même chez
le leader du groupe maitrisant le mieux l'assommoir sonore à notre
époque ! Au fil des écoutes un tableau prend forme : un mec trop
défoncé pour débloquer le verrou de sa salle de bain divague,
assis sur sa cuvette, entre souvenirs d'adolescence et délires
hallucinés. Il fait
couler un bain bulleux, s'endort dedans, se réveille puis
contemple, à demi lobotomisé, la grande ville qui clignote dans la
nuit et les avions qui décollent. Dans ses pics de flip, il voit des
fourmis rouges partout, mais l'instant d'après tout est parti et il
se prend à regretter d'en avoir pris autant...
A
la fois rustaud et mélancolique, kraut et mélodieux, débile et
beau, "Hubba Bubba" dose parfaitement énergie, simplicité
rock et sonorités électroniques (la guitare est quasi-absente,
remplacée avec brio par les synthés, fait assez rare pour être
signalé… On trouve même du Vocoder !). S'il y a des choses plus
dispensables ("Catastrophobbia", et là tout de suite on ne
voit que celle là), le reste, aussi psychotropé (non, ce mot
n'existe pas, pas la peine de chercher) soit-il, reste pop dans
l'idée : une mélodie, de la douceur un peu ahurie, un format plus
ou moins couplet-refrain, des accords simples et des paroles
malheureuses… Que demander de plus ?
Voix
d'ado psychopathe ou de lapin névrotique aux yeux un peu trop
rouges, rêveries spatiales ou délires paranos hallucinés, ce
disque à l'apparence de hasard enregistré est une réussite, malgré
(ou grâce à) son côté expérimental-défoncé qui étouffait
parfois un peu la qualité des projets solo de Dwyer (certains
disques folks étranges des Thee Oh Sees par exemple). De la Cosmic
American Music, pour
reprendre l'adage de Gram Parsons, pour le coup bien plus cosmique
qu'américaine. Il n'empêche que sous ses airs butés et robotique,
John Dwyer se pose comme le meilleur photographe
de notre monde tout en rétro-futurisme triste.
DAMAGED BUG Photograph (Audio seul)
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