Pas de dense

Daniel Humair, Tony Malaby & Bruno Chevillon

par Sophie Chambon le 09/07/2010

Note: 9.0    

"Pas de dense" tel est le titre des douze séquences de pur jazz, entièrement libre, numérotées ainsi par le trio HCM (Humair-Chevillon-Malaby).

Le batteur Daniel Humair est friand de ces rencontres, qu’il multiplie, après les albums HLP (Humair-Louiss-Ponty) des années soixante, le triple (fait unique) Cd Sketch en 2000 de HUM (Humair-Urtreger-Michelot) fêtant les retrouvailles du trio tous les vingt ans. C’est que Daniel Humair aime le jeu en "liberté surveillée" (encore un album du regretté Sketch en 2001 cette fois, avec déjà Chevillon, Ducret et au ténor Ellery Eskelin) : il est l’un de ces musiciens rares, lyriques et rigoureux à la fois, toujours épris et traversé par le désir de musique, en recherche permanente. Il symbolise l’aventure improvisée du jazz (français) et s’inscrit à ce titre dans toutes les tentatives, s’entourant de jeunes et les "engageant" dans un nouvel album dès que possible (le dynamique groupe Baby Boom, le guitariste Jean Philippe Muvien, ou le pianiste Gabriel Zufferey).

Toujours vif et résolu, incontournable, c’est en habile forgeron des sons, jouant des peaux, parfait soutien comme à l’accoutumée qu’il retente un coup - et un coup gagnant - avec le contrebassiste Bruno Chevillon qui s’est fait une spécialité de défricher les espaces encore libres. A la recherche d’un horizon partagé, puisque tous ces musiciens arpentent les mêmes rivages, ils ne dédaignent pas de montrer une face plus américaine avec leur ami, le saxophoniste ténor et soprano Tony Malaby.

Toutes ces compositions instantanées durent moins d’une heure mais elles nous en disent long sur la façon de jouer et improviser. Le texte de pochette sonne vrai lui aussi, écrit par l’autre complice, fidèle au long cours, Michel Portal qui aurait sans doute aimé être du voyage. Quant à la couverture, elle se pare des formes et couleurs du peintre Daniel Humair qui pratique cette forme artistique depuis aussi longtemps que la musique.

L’art du geste juste, le plaisir d’être là, bien vivant et de se répondre, de dialoguer de concert : partage incessant, prise de risques inhérents à l’exercice : des impromptus, des petites pièces pas si faciles à faire et à suivre avec des moments d’intense musicalité où le saxophoniste s’ajointe aux autres sans couiner ou striduler : tous concourent alors à une phrase musicale fluide, continue, paroxystique comme dans la ballade "Séquence hcm 5".

Une technique élaborée pour un art du trio consommé. Ils ne cherchent pas à séduire ou du moins très obliquement : frottements de la basse, aigus en pizzicatos, cris et non chuchotements du ténor, klaxons rauques et chant aigre du soprano. Un bel échange assurément de musiciens qui n’ont plus rien à prouver mais cherchent toujours à se mettre en danger, assumant tous les risques, au final mesurés, car cet album s’écoute sans faiblir, de frissons en surprises, les nerfs souvent à vif, d’exacerbations en découvertes, sans tomber dans la facilité. 
Oui, voilà qu’ils créent une nouvelle "Triple entente" à leur façon fière, absolue, exigeante, et passionnée. Avec cet album, on puise la fraicheur d’une musique désirante, sans nostalgie, ouverte au monde actuel. Chapeau, Messieurs !