Rejoicing in the hands

Devendra Banhart

par Jérôme Florio le 22/07/2004

Note: 8.0    

"Oh me oh my" (2002), nous avait présenté le new-yorkais Devendra Banhart pas lavé ni rasé, gardien d'un bois sombre. On s'y aventurait et on lui serrait quand même la main – en priant pour qu'il nous la rende -, en se coltinant à cette collection de chansons grimaçantes, enregistrées à la diable mais habitées d'un univers singulier, onirique et non dénué d'humour.

Banhart reparaît avec "Rejoicing in the hands" à l'inspiration inchangée. Mais pour cette deuxième sortie dans le monde, il a pris un bon bain chaud, récuré toute la crasse qui pouvait empêcher le plus grand nombre de voir l'or de ses compositions lunaires et lunatiques. Les fenêtres sont ouvertes, et laissent entrer le soleil. Noir.

Les influences, déjà au travail sur son disque précédent, éclatent au grand jour et éclairent par constraste la personnalité de Devendra Banhart. Franc-tireur façon "The partisan" de Leonard Cohen, "It's a sight to behold" atteint grâce à une ligne de violoncelle une majesté grave. Il sait dorénavant laisser sa peau blême se réchauffer au soleil californien de "Will is my friend", et dans un élan de bonne humeur envoie en fanfare le refrain ("it's a real good time") sur "This beard is for Siobhan". Mais la méthode Coué a ses limites : un besoin tenace de se mettre au frais, de se réfugier à l'ombre de "Poughkeepsie" et son babil perturbé de vieux titres rock'n roll des années cinquante. Et quand l'astre solaire se cache derrière les nuages, des mutations étranges s'opérent ("extra fingers are growing"). La voix se fait alors plus fragile, chevrotante comme le Marc Bolan de T-Rex première incarnation : un folk pour rêver les yeux ouverts, la tête dans les constellations.

Guitare et voix, ces moyens limités et intemporels ouvrent pourtant à l'imaginaire des perspectives très larges. Chaque chanson est un petit monde cohérent, achevé, qui se suffit à lui-même. Banhart enchaîne des images fortes et symboliques ("Full moon") qui peuvent se teinter de psychédélisme (quasi floydien sur "When the sun shone on vetiver"). Musique idéale pour une éclipse de lune. As des contrepieds, c'est un éclat de rire hispanisant qui suit avec "Todo los dolores" : du folk enfin folklorique, dépaysant.

Le disque est coupé en deux par un instrumental. Sans parler de schizophrénie, la deuxième moitié comporte des sortes de comptines peu rassurantes qui ramènent à l'état d'enfance ("Rejoicing in the hands"), se transforment en transe simili-ethnique ("Fall – qui peut aussi se lire comme un ordre). Et c'est un "Child" qui referme le disque : une manière de se raconter des histoires pour réenchanter le monde, donner de nouveaux noms aux choses, se rêver doté de pouvoirs extraordinaires, entouré d'animaux sortis de contes et légendes.