Afro

Dizzy Gillespie

par Sophie Chambon le 17/06/2002

Note: 10.0    

Enregistré en mai et juin 1954, "Afro" prolonge l'une des grandes révolutions de la musique noire, le bop, dont Dizzy Gillespie fut l'un des géniaux initiateurs. Captivé par les rythmes afrocubains, il pensa à réintroduire cette dimension dans la musique noire américaine, John Coltrane tentera plus tard lui aussi un retour aux origines mais de façon plus tourmentée. Dizzy eut le flair de s'entourer des meilleurs spécialistes, le flûtiste Gilberto Valdez, les percussionnistes Mongo Santamaria, Ubaldo Nieto, Jose Manguel. Et surtout Chano Pozo, "El tambor de Cuba", le premier à intégrer les percussions latines dans le bebop, l'homme "aux mains qui dansent" que Jérôme Savary a fait réapparaître cette année à l'Opéra Comique. C'est que le rumbero fut le compositeur de pièces célèbres comme "Manteca". En fait à la lecture des musiciens qui l'accompagnent sur cette suite en quatre parties, on frémit d'aise : toute la fine fleur de la scène jazzistique et latine est là. Affichant une apparente décontraction qui ne le rendit pas toujours charismatique, jouant de son extraordinaire vivacité, et s'appuyant sur une technique sans faille, Dizzy a su être le messager de la musique afrocubaine, qui après les années quarante était encore d'avant-garde. Une musique d'images, toute en couleurs éclatantes, de Cuba, de la Caraïbe et de l'Afrique. Avec une forte entrée des percussions, des riffs cuivrés de soleil, c'est une invitation permanente à l'exultation des corps. Mais ce serait un contresens d'ignorer qu'elle prolonge la tâche de Duke Ellington qui s'était attelé à écrire l'histoire de la "black music". Gillespie éclate de santé et l'équipe embarquée dans cette aventure excitante signe des plages mémorables : un "Con alma" émouvant, un vigoureux "Night in Tunisia", sans oublier la reprise de l'éternel "Caravan" du Duke. Que les plus jeunes écoutent enfin celui qui n'a jamais eu l'aura de l'ange noir Miles, alors que son influence aura été au moins autant déterminante. Une réédition plus que bienvenue, essentielle, pour ce "génie de proximité" selon le joli mot de l'écrivain et critique Alain Gerber… Dizzy que je l'aime !