| | | par Sophie Chambon le 21/02/2001
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| Quelle heureuse initiative de ressortir "Little movements", un album d'Eberhard Weber de 1980 avec son groupe de l'époque Colours. Musique planante, d'un fluide (un peu glacial) auquel le terme de fusion ne convient pas tout à fait. A moins que ce ne soit une fusion très germanique. Le batteur John Marshall qui a joué avec Soft Machine et Jack Bruce dégage en tous les cas une indomptable énergie, sur un tempo toujours soutenu. De longues plages (5 titres seulement) aux envolées lyriques, très enlevées ("Bali"), un son superbement épuré ! Une musique intemporelle, qui survole les générations, lave les oreilles des rythmes facilement binaires, trop saccadés de l'électronique actuelle. Qui nous éloigne d'une certaine modernité : la palette sonore est renouvelée par la technique de l'époque qui jouait alors d'autres effets, aux synthés en particulier, pour intensifier, distordre les sons ou les multiplier à l'envie. Ainsi le théme "Little movements" curieusement expérimental est répétitif et lancinant, truffé de bruits divers (bris de glace, gongs, glockspiels, klaxons...) sortis des synthés de Rainer Bruninghaus, le maître es-claviers du groupe. A quoi bon s'en cacher, on a un faible pour Eberhard Weber (déjà chroniqué avec "Old friends" chez Act). Personnalité protéiforme autant inspirée par le classique, le symphonique que la pop. Entre jazz, classique et planant (bien avant l'heure). Violoncelliste, contrebassiste, trafiqueur de cordes en tous genres (il a mis au point une contrebasse électrique à cinq cordes), Weber tourne autour de son instrument-orchestre que l'on redécouvre avec étonnement. On est entraîné par des lignes de basses résolument éloignées du modèle "walking bass". Pour une fois cela ne groove pas ! Les rythmes sont précis, découpés comme dans de l'acier. Attiré très vite par le jazz-rock, s'il faut donner absolument une étiquette (mais les étiquettes sont faites pour être enlevées), il compose avec son groupe Colors quelques beaux albums jusqu'à la dissolution en 82 : il partira alors avec Jan Garbarek pour d'autres contrées plus initiatiques (l'album "Rites" en 1998). Sa musique souligne l'importance de la composition, l'improvisation ne servant que comme un ingrédient contrôlé, limité même, dans son paysage sonore, ample, dégagé. Atmosphère hypnotique parfois, lyrique souvent, évocatrice de riches harmonies qui prennent le temps de se développer, alors que les paysages défilent. A toute vitesse. Couleurs et espaces sonores composent une ode à la nature et à la culture ainsi réunies. On se sent emporté, comme un torrent, en fusion avec les éléments, omniprésents ("No trees? he said"). Charlie Mariano, polyinstrumentiste (sax soprano, flûte) qui n'a cessé d'évoluer depuis ses débuts avec Parker, éternel voyageur au propre et au figuré, imprime sa couleur flûtée à l'ensemble et entraîne dans sa méditation, en gardien attentif de l'atmosphère, sereinement libre mais rigoureuse de cet album, dés le premier titre très étiré qui pourrait être conclusif ("The last stage of a long journey"). La jaquette - surprenante - d'après un dessin naif de Maja Weber tranche avec cette invitation au dépaysement qui parcourt tout le Cd, des solitudes glacées à l'archipel indonésien, puisque la figure féminine dénudée, s'alanguit sur le canapé du salon. On vous avait dit qu'il s'agissait de "petits mouvements" et quand on se laisse envoûter, c'est un autre voyage, immobile qui commence... |
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