Au revoir

Electric Fresco

par Jérôme Florio le 30/01/2003

Note: 8.0    

Les Anglais ont un mot pour désigner quelque chose de beau à regarder, et que l'on a envie de croquer : "gorgeous". La musique de Electric Fresco est ainsi, belle, ronde, et qui comble les sens. Derrière ce pseudonyme on retrouve Thierry Duvigneau, ex-Kid Pharaon, qui se rappelle à nous avec "Au revoir", comme un cow-boy chez Clint Eastwood sort du néant et repart à la fin du film, non sans avoir fait sa petite révolution. Et pourtant, juste pendant une seconde, on est un peu perplexe devant cet ami qui a la tête pleine d'Amérique, qui parle anglais avec un accent si parfait. Mais dès qu'on monte dans sa voiture aux formes généreuses, spacieuse et tout confort (une Cadillac plutôt qu'un dragster de Detroit), le moteur ronronne impeccablement, on prend de la vitesse, le vent joue dans nos cheveux, et alors on ne peut s'empêcher de sourire béatement pour finalement se remettre entièrement entre les mains du chauffeur. On dit ensemble "au revoir" et on part avec lui libre, sans contrainte, sans se soucier de la destination. On jurerait que Thierry Duvigneau habite là-bas, à Memphis ou Philadelphie, et pourtant il n'est jamais parti. C'est une Amérique de rêve, fantasmée, qui n'a peut-être jamais existé, qui sert ici de paysage mental. Par un tour de magie il arrive à nous persuader que Bordeaux est un possible 52e Etat américain, et transforme un St-Emilion en un appétissant milk-shake. Les grands espaces conviennent aux grands sentiments : les histoires d'amour bien sûr, follement romantiques. Toi et moi contre le reste du monde, occupé ailleurs, à faire la guerre, à suivre les cours de la bourse. Et si la jaquette du disque est de couleur sépia, c'est pour l'amour de la musique faite en artisan, du beau bois et des guitares grattées avec gourmandise, de la soul et de la gorge des femmes. De discrètes touches d'électronique achèvent d'ancrer le disque dans notre époque. Ne vous inquiétez pas pour le gas-oil. Le bolide de Thierry Duvigneau ne connaît pas la panne, et surtout pas sexuelle : il carbure au philtre d'amour. Que ce soit sur des grooves accrocheurs et lestes ("Dance floor politics", "Lester") ou dans le dépouillement d'une folk-song ("My definition of love"), la voix gorgée de soul de Thierry Duvigneau fait des merveilles. Quand cuivres, flûtes et les sensuelles voix féminines entrent en scène, on s'abandonne avec délices. Cette volonté de croire en ses rêves, cet incurable romantisme finissent par nous emporter et nous convaincre pendant trente minutes que oui, un autre monde est possible.