Painted from memory

Elvis Costello & Burt Bacharach

par Vincent Théval le 06/10/2003

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
In the darkest place
Such unlikely lovers
God give me strengh


Dans un étonnant moment de lucidité, Franck Black, pourtant pas coincé de la plume, décrivait ainsi son rapport à l'écriture : "J'aimerais être plus prolifique, mais je ne veux pas devenir esclave de mon travail. Un type comme Costello écrit sans doute vingt chansons par semaine, mais lui, c'est un musicien. Pas moi. Deux ou trois fois dans ma vie, il m'est arrivé d'entendre une mélodie très forte dans ma tête pendant que j'étais au lit, en cherchant le sommeil. J'aurais dû me lever et attraper ma guitare, mais je suis tellement paresseux que j'ai préféré rester au lit, bien au chaud sous ma couette. Évidemment, le matin, j'avais tout oublié, la mélodie s'était envolée. Je suis sûr que Costello, lui, se serait relevé et aurait bossé toute la nuit".

De fait, c'est peu de dire que le King est prolifique. Que penser alors de l'intervalle inhabituellement long qui sépare "Brutal youth" en 1994 de "When I was cruel" en 2002 ? En d'autres termes, que fait Elvis entre deux albums ? La réponse est simple : il enregistre d'autres albums. Il reprend, tourne, compile, collabore et accessoirement livre un chef d'œuvre intemporel et étincelant. Le plus avisé des mélomanes n'aurait jamais osé imaginer telle association, même dans ses rêves les plus fous : Elvis Costello, ex-enragé de la new wave reconverti en génie touche à tout et Burt Bacharach, grand manitou de la pop orchestrée, plume sans voix qui illumina de sa grâce et de son élégance les années 50-60, associé aux plus belles voix anglo-saxonnes, Dionne Warwick, Gene Pitney, Lou Johnson ou Dusty Springfield. Soit deux monuments de l'histoire de la pop, issus de deux générations qui s'étaient toujours tourné le dos, humblement réunis autour d'un piano pour composer douze morceaux sublimes qui effleurent le jazz et la soul avec délicatesse.

Elvis a sorti sa voix des grands soirs pour honorer des mélodies à la fois fluides, évidentes et complexes : "In the darkest place" joue aux montagnes russes et se joue de la gravité avec des ruptures de rythme insensées, épaulée par un grand orchestre et des chœurs féminins. Le son du disque est chaleureux et profond, riche mais jamais surchargé, legs de quarante ans d'expérience de Burt Bacharach, arrangeur hors pair : le rythme bossa et la trompette de "Toledo" sont comme une marque de fabrique, grande machine à frissons. Piano, cordes et cuivres sont omniprésents, écrin magnifique pour des mélodies en or massif ("This house is empty now", "Painted from memory" ou "Such unlikely lovers"). L'album s'achève sur un nuage avec "God give me strengh" qui restera comme l'un des sommets des discographies respectives de Burt Bacharach et Elvis Costello, où deux univers se rencontrent et se confondent en un feu d'artifice de cordes et de trompettes mélancoliques. Deux vies d'amours perdues et d'errances romantiques pour une expérience mémorable.