Steig aus

Embryo

par Hanson le 02/05/2006

Note: 9.0    

Revenant d'une tournée en Afrique du Nord, organisée par l'Institut Goethe, le groupe Embryo rentrait à nouveau en studio, en septembre 1972, avec la ferme intention de persévérer dans son ambition de conglomérer jazz, rock et musiques ethniques. La formation autour de Christian Burchard était, dans l'espoir de renouveler son inspiration, en continuelle restructuration. C'est précisément dans cette optique que le célèbre pianiste américain Mal Waldron venait de rejoindre les rangs d'Embryo quelques mois auparavant. Leur ostensible envie de faire sortir la musique de ses gonds les a poussé à enregistrer sous la forme d'une jam session en studio où l'ensemble des efforts était porté sur les premières prises afin de préserver toute la spontanéité et la dynamique du premier essai. Dans de telles conditions Waldron, alors agé de 45 ans, était éperonné par une poignée de jeunes allemands surexcités et bien décidés à tenir les rênes de cette session.

Sur fond de chants lointains échappés d'un minaret de Marrakech, le voyage en Orient s'ouvre sur une montée au saz, instrument arménien largement répandu en Turquie, pour être ensuite relayé par l'entrée de percussions orientales. La vélocité de cet Orient Express va alors s'accélérer à un rythme infernal avec l'entrée d'une guitare rythmique funky et surtout de ce foudroyant orgue Hammond à faire fondre le cerveau. Loin de succomber à la tachycardie, Mal Waldron parvient à tenir la barre un court instant au milieu de cet ouragan avant que tous les musiciens ne se jettent à nouveau à l'eau, noyant le jeu de Waldron dans l'ensemble.

Ils adoptent, sur le titre suivant, une attitude diamétralement opposée en réinterprétant un titre publié l'année précédente sur "Father, sons & holy ghosts". La guitare du titre original est ici remplacée par le violon d'Edgar Hoffman, tandis que le vibraphone se fait plus discret au profit des échos distants émanant de l'orgue de Jimmy Jackson. Malheureusement, alors que le charme du titre original résidait dans son apparente extraction du "Caravanserai" de Santana, l'alternative proposée ici n'est pas aussi convaincante.

Les vingt dernières minutes du disque prennent pied dans une composition de Waldron intitulée "Call", renouant ainsi avec l'énergie du début. Là encore, même si l'étendue du titre laisse place aux autres musiciens, Jimmy Jackson vole la vedette grâce à son flamboyant jeu d'orgue. Oscillant entre attaque frontale et effets d'arrière-plan, la trame principale du titre se construit de facto autour de lui, à contrario de l'interprétation du quartet de Waldron où Jackson est infiniment plus en retrait. En effet, quelques mois plus tard, le pianiste et l'organiste américains se sont adjoints Eberhard Weber et Fred Braceful pour réenregistrer "The call" dans un cadre résolument jazz. Cependant la présence de marimba, de violon, et de guitare aère indéniablement l'interprétation d'Embryo et apporte une coloration folklorique totalement absente du quartet de Waldron. L'intérêt du titre repose ici essentiellement sur la spontanéité et l'énergie déployées au travers d'un récit rempli de contrastes jouant sur l'antinomie entre ombre et clarté.

"Steig aus" et son détonant mélange de jazz, de rock survitaminé et de musiques orientales est une réussite qui a particulièrement bien vieillie. Or s'il est généralement considéré comme étant le meilleur disque d'Embryo, il est aussi l'un des classiques les plus faciles d'accès, au sein d'une scène où l'exploration artistique était le maître mot. Guidés par la présence de Mal Waldron, certains jazzmen de l'autre côté de l'Atlantique, dont tout particulièrement Miles Davis, y ont jeté une oreille exprimant en retour un intérêt mêlé de surprise à l'égard de ce qu'ils voyaient peut-être comme des outsiders. Pour l'anecdote, Liberty/United Artists, major chez qui Embryo avait signé, avait refusé la parution de ce disque jugeant son contenu trop ouvertement orienté vers l'ethno-fusion. Paradoxalement, "Steig aus" est aujourd'hui le seul album du groupe à avoir été réédité par Universal Allemagne, les autres n'étant ressortis que sur différents petits labels européens.