Four wanderings in tropical lands

Emmanuel Mieville

par Hugo Catherine le 15/05/2014

Note: 8.0    
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A Escasu, San José, Costa Rica, il y a des routes, des oiseaux qui piaillent, des chiens qui aboient, de l’eau qui coule, des camions qui passent, des casseroles à même le sol, du moins on l’imagine. A Cahuita, Costa Rica, le paysage sonore est similaire. Le field recording d’Emmanuel Mieville est tout à la fois brut et musical ; ce dernier prône certes une restitution quasi-fidèle de l’enregistrement live mais distille aussi de petits ajouts, de menues modifications comme autant de discrets artifices ; trois enjeux sous-tendent avant tout notre écoute : la position de l’enregistreur, l’acuité de la prise de son, les choix de production. Le rôle du musicien, s’il tangente ici le rôle du technicien, ne s’efface pas complètement devant la source sonore, principal point de focalisation de notre écoute. La maîtrise technique confère aux lieux une présence unique, nous nous téléportons par le sonore vers des géographies inconnues.
 
Plus que les noms des villes, Emmanuel Mieville aurait pu retenir comme titre de ses morceaux les coordonnées géographiques (latitude, longitude). A la manière d’un documentaire, "Four wanderings in tropical lands" a aussi une valeur historique : si nous retournions sur ces lieux choisis dans quelques années, entendrions-nous ces mêmes sons ? Comment interpréterions-nous d’éventuelles modifications du paysage sonore ? Il n’y a peut-être pas de mot pour parler de photographie sonore mais Emmanuel Mieville travaille bien pourtant sur cette idée : sa musique est au son ce que la photographie est à l’image.
 
Il est frappant d’entendre comme les bruits émis par l’activité humaine agressent souvent davantage que les bruits animaliers ; ainsi, à Repulse Bay, Hong Kong, les frottements des élytres du grillon sont bien plus doux à l’oreille que le roulis pneumatique des véhicules motorisés ! Emmanuel Mieville impose un retour à nos oreilles de nos gesticulations industrieuses. Il se joue peut-être ici, passivement, une forme de militantisme écologique sonore.
 
L’écoute des pistes doit se faire sur la longueur, nous y séjournons, en touriste des sons. A la fin du voyage, le doute subsiste sur ce que les sons d’un lieu peuvent dire de ce lieu. Le son peut bien sûr incarner un lieu comme une madeleine proustienne. Il peut aussi en obstruer la perception, notamment lorsque la pluie s’abat sur nos oreilles à Tarapoto, Pérou ou à Kuantan, Malaisie. Mais il peut surtout révéler l’imperceptible, donnant du champ à un lieu, certes tropical, mais anodin – c’est alors l’effet blow-up antonionien. Ici comme dans les voyages habituels, tant le talent du guide que l’éthique du touriste déterminent la portée de l’expérience : vive le sonorisme vert !