Tati

Enrico Rava

par Sophie Chambon le 29/10/2005

Note: 8.0    

Douze petites pièces pour trompette, piano et percussions, des variations libres pleines de délicatesse, des miniatures composent cet album en hommage au cinéaste français Jacques Tati. Curieuse dédicace, mais les influences et les citations abondent dans cet album classique et classieux où l'on retrouve des compositions célèbres : l'inusable "The man I love" de George Gershwin en ouverture, l'esprit d'Ornette Coleman dans "Cornettology", sans oublier Satie mais aussi "Tosca". Le trompettiste italien, amoureux depuis longtemps du lyrique - il lui a consacré tout un disque "Rava, l'opera va" - a "arrangé" l'aria final de Mario "E lucevan le stelle" ce qui tendrait à prouver la compatibilité de toutes les musiques avec un traitement jazz, ou/et la modernité évidente de Giaccomo Puccini. Voici un trio éclectique qui ne dédaigne pas de servir la mélodie. De façon juste et minimaliste. Avec une certaine conception épurée du son. Le trio a signé chez ECM n'est-il pas vrai ?

Un trio insolite car, si les deux Italiens jouent ensemble depuis dix ans, c'est à Manfred Eicher que revient le choix du batteur Paul Motian, pour "ouvrir l'espace". Cette proposition semble avoir eu d'heureux effets, puisqu'il apporte trois compositions plutôt réussies dans sa corbeille. C'est une musique sensible, de ballades, qui convient à l'humeur crépusculaire : on est troublé par un flottement doux et poignant dans ces mélodies qui s'inscrivent dans des passages, des traversées - le "Birdsong" élégiaque de Stéphane Bollani - une même vision du monde, faite de plénitude et d'apaisement. Il faut donc prendre son temps et se laisser porter par les notes étirées et aiguës de la trompette sur "Gang of 5" ou "Golden eye", tableaux sonores d'une perfection formelle irréfutable.

Cette souplesse naturelle, cette élégance ne sauraient en effet faire oublier le parti pris de simplicité dans l'exposition des thèmes. L'art du trio se mesure alors dans cet aménagement subtil de l'espace qui se transforme au cours des pièces, même dans les plus énergiques comme le "Fantasm" de Paul Motian, ou encore le plus enlevé "Mirrors" où Stéphane Bollani entraîne dans un certain tourbillon ses partenaires. Un trio en perpétuelle recherche d'équilibre, d'accommodations fines. Une belle interaction entre partenaires qui font de la musique en concert sans trop de concertation apparente, une très grande leçon de maîtrise qui parvient à ce niveau d'intensité par une certaine austérité. Un disque de confidences.