| | | par Sophie Chambon le 30/11/2000
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| Américain à Paris, pianiste classique pouvant jouer du Charles Ives comme composer des partitions chorégraphiques, Eric Watson répond avec Full Metal Quartet à une commande du Théatre-Scène Nationale de Poitiers. Composée et enregistrée aux studios de La Buissonne à Pernes les Fontaines (qualité!), cette suite associe le sax ténor et soprano Bennie Wallace au trio habituel de Watson (Mark Dresser, basse, Ed Thigpen, batterie). Dès l'ouverture, une atmosphère de nocturne envahit la scène, mais la mélancolie n'a guère le temps de s'installer, très vite la dynamique du groupe fonctionne. A plein temps. Un climat s'installe, âpre, sombre, parfois zébré de stridences free. Le jeu même de Watson, qui affectionne le registre grave, accentue encore cette couleur inquiétante. Difficile de définir un disque paradoxal. Déroutant, par le jeu contrasté des interprètes qui prennent l'auditeur à contrepied, par la succession énigmatique des compositions : structure traditionnelle ou modernité ? Ainsi le son souple, moelleux du sax enjolive les morceaux lents, comme amoureux de la mélodie, il est plein de tendresse triste, "Tryst", le nom des première et dernière pièces de cette suite, conférant à l'ensemble sa forme close. Mais "Tryst" en anglais ancien signifie "rendez-vous amoureux". Et Wallace vibre douloureusement. Constamment mis en valeur, le saxophone invoque le style envoûtant des ténors du passé, lors de ballades qui n'ont pourtant rien de suave (certaines phrases se terminent par une note vibrée, puissamment soufflée plus que jouée, hommage à Ben Webster ?). La versatilité de Wallace est étonnante, "Tear and wear", qu'il joue sans vibrato, avec une sonorité tendue, nasale. La rythmique est classique, le batteur Ed Thigpen donne une pulsation de base continue alors que le bassiste slappe et intervient discrètement mais très efficacement, mais par ailleurs, le solo de contrebasse dans "The big dipper" évoquerait aussi les colères rageuses d'un Mingus, tant l'instrument frotté grince, tour à tour plaintif et menaçant. Cette musique se dérobe et il faut un certain temps pour en pister les influences (Scriabine dans les ballades ?), elle dérange, titille par endroit les sens jusqu'à l'exaspération. Dans le dernier "Tryst", la répétition du thème, lancinante, ne laisse aucun répit jusqu'au murmure final. On peut se sentir mal à l'aise mais l'album d'Eric Watson ne laisse pas indifférent. Une certaine violence, sourde, finit par atteindre son but. Comme pourrait le suggérer le jeu de mots du titre (allusion à "Full metal jacket" de Kubrick), la balle est entourée d'une protection qui la rend encore plus efficace, quand l'enveloppe éclate. On est atteint en plein coeur. Très sûrement. |
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