Road movies

Eric Watson & Christof Lauer

par Sophie Chambon le 28/12/2004

Note: 9.0    

A en croire son titre, "Road movies" serait une virée dans l'Amérique de la country, des motels et des dérives sentimentales. Oui, mais non. On est loin des films du genre de Wim Wenders ou de la musique aux guitares saturées de Bill Frisell. Même la pochette du label allemand Act pourrait nous balader puisqu'elle montre des empreintes de pas. Ainsi nos quatre compères, en routards plus ou moins désorientés, brouillent d'entrée les pistes dans cette “detective story” contemporaine.

Le quartet d’Eric Watson (Américain à Paris depuis 1978) et de l’Allemand Christof Lauer avec la remarquable rythmique composée de Claude Tchamitchian et Christophe Marguet s'est imposé d’abord sur la scène avec l’incandescence du live. Le résultat de cette tournée fervente fut l’enregistrement d’un album très réussi, la plus actuelle démonstration de la pérennité du jazz dans l'imaginaire. Dissonances, stridences exacerbées par endroit des saxophones de Christoph Lauer, lyrisme désabusé par ailleurs, cette musique raconte une histoire très personnelle, un polar urbain post-moderne. Le délire du premier titre, éponyme, qui dure plus de onze minutes, suffirait presque à résumer le projet, puisqu’il en est la quintessence. Mais il faut aller plus loin, se plonger dans le climat tendu de “Road runners” dont un leitmotiv inspiré de “West side story”, plus inquiétant que débridé, vrille les nerfs et met sous haute tension. Le déchirant “The last goodbye” évoque avec suffisamment d'acuité la plainte du saxophone que soutiennent délicatement le piano et la rythmique, effleurant par petites touches les notes de ce désespoir.

Film noir plus encore que d'errance, on baigne dans l'univers de “Asphalt jungle” de John Houston ou de “The killing” de Stanley Kubrick; après la fatalité assénée par le martèlement de Christophe Marguet dans ce qui pourrait être le climax de l'histoire, “Situation tragedy”, l'épilogue est fourni par le très enlevé “Hard as nails”. Du swing oui, il y en a dans cette suite, très énergique, qui balance peu d'atermoiement ou de volupté, mais l'intrigue exige une musique dense, captivante, qui fasse monter la pression. On dira qu'elle est illustrative d'un polar imaginaire que chacun sera libre de réécrire en fonction de ses références et de son passé, toute une mythologie du genre, fort divertissante, où rien n'est imposé, un scénario dont les quatre musiciens seraient les acteurs, vibrants, percutants, forts. On ne s'ennuie pas une minute dans cette course poursuite haletante, fiction musicale qui ravira les cinéphages jazzophiles ou les cinéphiles jazzophages…