Gargilesse

Florent Marchet

par Jérôme Florio le 01/07/2004

Note: 7.0    

A quoi peut-on identifier un chanteur "générationnel" ? Peut-être qu'en parlant en son nom, il parle en fait des autres, pour les autres - à leur place ? -. D'où la récurrence des "tu", "ils", "nous", "on" dans les chansons du premier disque de Florent Marchet.

De la pochette aux titres, "Gargilesse" affiche sa ruralité comme une signature. Marchet n'est pas le premier à s'affirmer de quelque part ; mais par exemple l'Auvergne d'un Jean-Louis Murat est aussi un paysage poétique, onirique. Retirez ça au Berry de Gargilesse, il n'en reste que la coquille du cocon protecteur, le ton uniforme des dimanches à la campagne.
Petits précis du désenchantement urbain ("l'ultra-moderne solitude" comme chante Souchon), les textes mettent cruellement dans le mille, alors que la musique reste trop au centre ("Mes nouveaux amis", l'instrumental "Gargilesse" bien trop clairet). Une absence de parti-pris forts, les guitares se noient dans la masse - mais au fond, tout le disque ne parle que de ça. Les compositions sont de durées classiques mais paraissent presque trop courtes, comme empêchées d'aller au bout de leur réflexion par la formule couplet-refrain. Entendues en concert dépouillé avec juste deux guitares, elles gagnent en tranchant et en urgence.

Pas encore trentenaire, Florant Marchet regarde ses contemporains avec acuité, détaille doucement mais implacablement les petits compromis qui font les grands renoncements ("Je m'en tire pas mal"). Une fichue lucidité qui lui gâche la vie. Ses personnages sont désengagés de leur propre existence, subtilement amenés à un doucereux dégoût de soi. Le quotidien est étriqué, égocentré, et se résume à quelques noms propres de villes ou de personnes (heureusement beaucoup moins que chez Vincent Delerm), à quelques rites de passage obligés ("Les grandes vacances", les premiers émois), à des lieux communs et anonymes (métro, lavomatique, centre commercial...).
Et l'amour pour sauver les meubles ? Céline faisait dire à son Bardamu "L'amour, c'est l'infini mis à la portée des caniches" : ici l'infini est drastiquement réduit aux dimensions d'une piscine, d'une maison et d'un "job à la con" ("Levallois"). "Avez-vous déjà songé" porte la marque d'Alain Souchon, chanson pauvrette un peu trop richement habillée de cuivres et cordes. Les mélodies des réussies "Le meilleur de nous deux" et "Le terrain de sport" brûlent davantage : la déception est encore au bout. Gargilesse tomber les filles.

"Tous pareils", affirme Florent Marchet. "On voudrait des amis / Des journées de repos / On a tant d'ennemis / Dans les jeux vidéo" : il a le talent de capter quelque chose de l'air du temps, le basculement de l'individuation à l'individualisme ("Je n'ai pensé qu'à moi"). Marchet ne porte pas un regard hautain, bien au contraire, mais donne parfois l'impression d'être certain d'avoir raison. Il constate qu'"on s'est bien fait avoir", mais pas de révolte à l'horizon, pas de remise en cause de l'ordre établi. "Je n'ai pas de courage / Ce n'est plus de mon âge" : la lucidité est parfois un bon alibi pour se couler dans le moule.

On aime bien qu'un chanteur nous emmène ailleurs, un peu plus haut, en transcendant notre quotidien. Mais le repli berrichon de Florent Marchet n'est qu'un voile d'illusions : "Gargilesse" sonne comme un baroud d'honneur, et entre nous tous il ne restera bientôt que les plus petits dénominateurs communs.