France Gall (Intégrale Philips)

France Gall

par Francois Branchon le 14/06/2003

Note: 9.0    

Lancée au début de la vague yé-yé en 1964, France Gall avait - outre un cerveau - quelques atouts familiaux planqués derrière sa candeur juvénile pour éviter un statut de potiche à la Sheila ou Sylvie Vartan : Paul le grand père fondateur des Petits Enfants à la Croix de Bois, Robert le père parolier ("La mamma" pour Charles Aznavour), Cécile la mère concertiste et les deux frangins jumeaux Patrice et Philippe guitaristes de jazz. Une garantie d'être guidée dans le "métier" avec à la clé des rencontres avec les musiciens et auteurs-compositeurs du premier rang, notamment du monde du jazz, et des arrangeurs de talent, dont Alain Goraguer (qui écrira en 1973, la musique du film sci-fi culte français "La planète sauvage").

Son premier 45 tours "Ne sois pas si bête", adapté de "Stand a little closer" par Pierre Delanoë parait chez Philips en 1964 et accède d'entrée au hit-parade. Il porte en lui la caractéristique essentielle du style France Gall : une voix de tête susurrant les mots doux, et nasale d'enfant railleuse quand elle la pousse dans ses retranchements. Sa carrière aurait pu s'écouler tranquillement de tube en tube, mais un énergumène va la démarquer des niaiseries ambiantes et en faire la première Lolita de la chanson française : Serge Gainsbourg. Encore sous influence Rive Gauche, il pige en 1964 ce qui se passe en Angleterre et Gall va lui servir de laboratoire à mignonnettes calibrées 2'30. Un "retournement de veste" dira-t-il, car "doublée de vison", prémonition confirmée en 1965 quand il lui fait gagner l'Eurovision ("Poupée de cire, poupée de son"). Un rien vicelard avec elle, il va tout se permettre, lui écrire ses chansons les plus emblématiques - les inimitables et indépassables petites merveilles pop catchy "Laisse tomber les filles", "N'écoute pas les idoles" ou "Nous ne sommes pas des anges" - comme la faire sucer (des "Sucettes") et promouvoir le LSD sur les ondes officielles de la France gaullienne ("Teenie Weenie Boppy").

Ce coffret de trois Cd regroupe tous les titres de cette première vie de 1964 à 1968, la seule intéressante et jouissive à mon avis, tout ce qui suivra - la “fusion” avec Michel Berger, la "world music" estampillée 16ème, le pseudo-funk sur moquette en laine - prêtant plutôt à sourire. Laissons quand même planer quelques réserves pour l’année 68, lorsque la jouant jeune fille branchée parisienne propre sur elle, elle revisite la mode hippie façon Marie-Claire, passons...

Le coffret est l'occasion de rendre justice à la famille Gall, qui se chargeait des faces B des Ep avec des chansons oubliées aujourd'hui mais bien agréables : des titres parfois très jazz ("Pense à moi" furieusement Nougaro, "Jazz à gogo", "Le coeur qui jazze", "Et des baisers", "Boom boom", "Les yeux bleus", "Le temps du tempo"...), "Tu n'as pas le droit" et "Il neige" (textes de Jean-Max Rivière l'auteur de "La Madrague" pour Bardot), de jolies ballades souvent signées des frangins - les surprises de ce coffret - "Mon bateau de nuit" et ses arrangements obsédants qui valent Bacharach, "Soyons sages", l'adaptation charmante de "Au clair de la lune", "On se ressemble toi et moi", "Le temps de la rentrée", "Faut-il que je t'aime", la sublime et secrète "Celui que j'aime", "Chanson pour que tu m'aimes un peu" (à la manière acoustico-psychédélique du meilleur Michel Polnareff, les jumeaux s'envoyaient-ils des pilules ?) l'impeccable "Cet air-là" ou l'adaptation d'un vieux titre folk de Joe Dassin ("Souffler les bougies").
On trouve bien sûr la collection des tubes, les "classiques" souvent co-écrits par son père, "Les rubans et la fleur", "Christiansen", "Sacré Charlemagne", "Et des baisers", "L'Amérique" et ses clichés western, "La rose des vents", "Bonsoir John John" (écho d'une France post-trauma Kennedy), "Bébé requin" et - en attraction - toutes les chansons écrites par Gainsbourg, instantanément imprimées dans la mémoire, le nœud dans les cheveux en prime : celles citées plus haut et "Baby pop", "Attends ou va-t-'en" et "Nerfertitti".
On ne s’étendra pas sur quelques niaiseries ("Nounours", "Dis à ton capitaine", "Deux oiseaux", "Quand on est ensemble" et ses arrangements Frank Pourcel, "Je me marie en blanc"...) ni sur les arrivées dans la "tribu" en 68 d’auteurs plus secondaires (Jean-Michel Rivat, Monty, Vline Buggy, Ralph Bernet...) pour retenir cette année-là "Dady da da" signée Michel Colombier.

Le cul entre deux chaises (ses collègues traducteurs et les auteurs-compositeurs-interprètes), France Gall représente une des facettes des années soixante, ni sexy (Vartan), ni intello (Hardy), ni underground (Zouzou) ni populo-démago (Sheila), juste adolescente "fraîcheur", authentique et servie par de bons auteurs.