Vingt à trente mille jours

Françoiz Breut

par Nicolas Wienders le 26/11/2000

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Si tu disais
Il n'y a pas d'hommes dans les coulisses


Pochette rose et disque mauve façon Polly Pocket, portraits naïfs crayonnés, cette apparente sucrerie déverse son acidité dès qu'on la goûte. Le crachin breton s'installe alors, le plafond devient bas. Le flot des paroles trempe et ronge jusqu'à l'os, à moins que ce ne soit le cycle des mélodies, syncopées et névrosées, qui bouscule et conduise sur ces chemins côtiers qui longent la falaise. Pleine lune et gros coefficient. Pour ce deuxième album, la sémillante Françoiz délaisse ce patronyme customisé façon blizzard (Brrrrr) pour reprendre son identité, signe d'assurance ou de maturité et la joue collectif en invitant notamment sa "joyeuse" bande de copains rennais dans les studios. Dominique A, forcément, omniprésent, pour ce qui est des textes et des compositions. Mais aussi Philippe Katerine ("L'origine du monde", inspirée du tableau de Courbet), Yann Tiersen qui signe des arrangements délicats sur les cordes de l'orchestre philharmonique de Budapest ("La nuit repose", "Je ne veux pas quitter", "Il n'y a pas d'homme dans les coulisses") ou empoigne le violon ("L'heure bleue") et le vibraphone ("Je ne veux pas quitter"). Mettent aussi la main à la pâte, Jérome Minière, le groupe Perio, Philippe Poirier (de Kat Onoma), Gaetan des Little Rabbits, Pierre Bondu et Fabrice (Autour de Lucie), Joey Burns de Calexico (voix anglaise sur "La chanson d'Hélène", thème des "Choses de la vie" de Claude Sautet). La production est confiée à Fabrice Lorau, (cf Herman DŸne) ainsi qu'à Craig Schumacher, l'ingénieur du son de Calexico. D'aucuns trouveront ici un disque varié, image du bonheur de l'interprète, opposé à la mélancolie de son premier album, clair comme le cristal... C'est incontestablement un disque beau, pur, mais du cristal il ne garde que le tranchant, irrésistiblement, insidieusement. La diversité est réelle pour ce qui est de l'orchestration, parfois seules s'expriment la guitare, la batterie et la basse ("L'affaire d'un jour"), un piano, un vibraphone viennent parfois les rehausser ("Porsmouth", "Je ne veux pas quitter"), et puis il y a les cordes qui souvent s'animent... Au niveau rythmique, on passe souvent du gris foncé ("Silhouette minuscule", pulsation cardiaque oppressante, "Le verre pilé", marche hypnotique) au gris clair ("Pormouth", papillonnante bluette, "L'origine du monde", transmission vampsien, presque léger). Au chapitre des détails, un Cd quatre titres - pour une fois vraiment bonus - parachève l'ensemble. De jolis interludes de Dominique A. jouent les transitions et proposent de reprendre son souffle entre chaque titre, autant d'apnées dont on ne reviendra pas innocent. De superbes clichés en noir et blanc, oeuvres de Françoiz elle même - c'est aussi une délicieuse artiste - permettent d'enfin poser son regard pendant l'écoute. Au final un disque indispensable. On ne se défait pas comme ça de cette voix là... face à l'ouest, à guetter l'arrivée des dépressions. Il ne nous reste, pour le faire, que vingt à trente mille jours.