No other

Gene Clark

par Laure Delsaux le 12/08/2004

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
Silver raven


Dans le sacro-saint monde du rock, certains disques peuvent autant susciter de polémique que de passion. "No other" de Gene Clark est de ceux-là. Après quelques albums Country west coast (Dillard & Clark, Gosdin Brothers...), Gene Clark grand romantique du folk et ex Mr tambourine man des Byrds sort "No other" en 1974, album de recentrage, dans le choix du label Asylum où il retrouve les Eagles de son ami Bernie Leadon, et changement de cap dans la production.

Comme le montre la pochette, véritable œuvre d'art, "No other" est d'abord placé sous l'égide d'un hommage aux stars d'Hollywood des années trente. Gene Clark jusque-là cowboy bucolique, et maintenant personnage androgyne grimé façon Marlene Dietrich surprend avec ce nouveau look. Cette métamorphose trouve son écho dans la musique. Dans cette grosse production, prédominent le gros son électronique et décadent de l'époque, et le travail des musiciens de studio un peu comme dans "Greetings from L.A" de Tim Buckley (autre malchanceux du folk qui espérait ainsi séduire les foules). A la première écoute, cette débauche de moyens apparaît assez inhabituelle et exubérante pour un album country rock, en particulier dans "Strenght of strings" où des chœurs de chorale gonflés à bloc sont très présents.

Puis progressivement on se rend compte que Gene Clark a su garder intacte cette sensibilité de cœur brisé qui a fait sa marque. La ballade "Country lady of the North" met en avant sa voix toujours tremblotante et profonde. Les bonus du Cd, versions dépouillées de l'album montrent de manière plus évidente cette impression de fêlure dans sa musique. Mieux encore, moins maniériste et en retrait qu'auparavant, Gene Clark s'affirme avec l'aide du producteur Thomas Jefferson Kaye, comme un véritable concepteur qui souhaite réaliser sa grande œuvre. Comme l'époque est à la démesure, il pousse ses qualités de compositeur et de chanteur à leur paroxysme. Le morceau "No other", décor en trompe l'œil, résume à lui seul cette entreprise, une parfaite succession d'habillage pompier avec claviers à l'appui, et de country rock crépusculaire. "Silver raven" et "From a silver phial", promenades guidées par une guitare slide aérienne, emmènent dans une nature mystique pleine d'inquiétude et de doute. Il faudra attendre Town van Zandt dans un style plus épuré, pour retrouver tant d'obscurité et d'angoisse dans la musique américaine.

Là réside sans doute la véritable réussite de l'album, d'avoir su mélanger le style sophistiqué des années soixante dix, avec ces ballades mélancoliques et sensibles. L'excès donne parfois ses chefs d'œuvres. "No other" en est un exemple dans un genre country rock rarement exploré aussi loin. Au total ce disque version sonore du Technicolor reflète l'Amérique flippée et démesurée des années soixante dix. Il est à écouter sans modération.