Felt mountain

Goldfrapp

par Francois Branchon le 22/09/2000

Note: 7.0    
Morceaux qui Tuent
Paper bag


Faut-il se sentir obligé de célébrer des "événements" ? Cette Alison Goldfrapp par exemple, nimbée dans une rumeur de révélation de l'année ? Il faudra bien mettre (certaines de) ces envolées lyriques médiatiques sur le compte d'un jeunisme récurrent (voir ces hommes de plume et d'image - maintenant âgés - qui aiment tant le noir, "la couleur du ROCK coco !"), car de quelle révolution peut-il bien s'agir ici ?? Voilà qu'on nous ressort une bagnole du garage 60's, qu'une couche de peinture numérique voudrait faire passer pour un vaisseau intergalactique. Certes, on ne nous ouvre pas la portière d'une vulgaire Simca 1000 mais d'une Cadillac Eldorado, blanche, cuirs noirs et radio de bord programmée sur la grande variété de luxe sixties (apanage du savoir-faire américain) : massive, puissante, élégante, réglée au millimètre, géniteurs-compositeurs haut de gamme et voix sublime en prime ! Les qualités vocales d'Alison Goldfrapp, ex de chez Tricky, sont d'ailleurs indéniables. Sa voix sait être suave et encourage à écouter l'album vautré dans les coussins. Goldfrapp frappe aussi un joli coup avec le choix de la peinture : arrangements tirés à quatre épingles et électronique ultra-chiadée. Portishead l'avait tenté, mais en oubliant le collier de glaçons autour de leur cou. En ouverture "Lovely head" est un exemple parfait, d'absolu papier glacé. "Paper bag" se colore de cloches à la Ennio Morricone et de cordes indiennes à la Talvin Singh. Si "Human", le titre choisi (par eux ?) pour se faire connaître, est trop martial et vire à la grossière caricature, "Deer stop" et "Felt mountain" en revanche, langoureuses plaintes rampantes, sont plus personnels (moins de références 60's). "Horse tears" est une ballade rapide, rengaine mécanique sur rythmique 70's (les Moody Blues avec le son électronique). A plusieurs reprises même, Goldfrapp excite : pour un sens de la mélodie délicate et fondante ("Paper bag" et "Felt mountain" sont de véritables poisons à accoutumance immédiate) et pour un sens du montage très élaboré ("Deer stop"), qui rappelle la suédoise Stina Nordenstam ou la Julee Cruise de "Rockin' back inside my heart". Mais les comparaisons s'arrêtent là, car ces deux-là ont quitté le plancher des vaches depuis longtemps, embarquées sur des vaisseaux ignorant la pesanteur. Stina Nordenstam par exemple s'aventure vocalement beaucoup plus loin "d'elle-même", sans la béquille de ces abus d'effets sur la voix. Quant aux carrossiers David Lynch et Angelo Badalamenti - mentors de Cruise - ils ne sont pas les petites mains de la grande messe recyclante. On nous vend Goldfrapp comme un "retour à la sensualité", mais il faut être très imaginatif ou de sang très froid pour le remarquer. Il semble au contraire que les machines n'aient jamais atteint un degré aussi perfectionné d'imitation, ne se contentant plus du son, mais de toute l'ambiance qui va avec, plongeant et piégeant l'auditeur-spectateur ébahi dans un monde virtuel. Goldfrapp : un puissant scanner des années soixante, qu'il recrache sur un luxueux papier glacé. Et après le temps du spectacle, il est bien bon de retrouver les hommes...